Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/197

Cette page a été validée par deux contributeurs.
193
LE CONSEIL D’ÉTAT.

si jeunes et si pressés, un des vice-présidens, dont la verve caustique s’exerçait déjà sous l’empire, se prit à demander s’il ne serait pas obligé de les mettre sur ses genoux.

De cet excès dans le nombre des auditeurs, il résulte que le travail qui leur est confié ne suffit point pour les occuper. Plusieurs sont tout-à-fait désœuvrés. D’autre part, l’administration ne leur ouvre pas de carrière, et, tandis que la dernière ordonnance les fait sortir du conseil d’état après six ans, il est de toute impossibilité qu’ils soient placés dans ce délai.

Ce n’est pas un labeur assez considérable pour occuper tous leurs instans qu’il est nécessaire d’imposer aux auditeurs : il leur faut une occupation suffisante pour les instruire et les forcer à l’étude ; les jeunes gens doivent être habitués et en quelque sorte contraints au travail. Il en est peu qui sachent se défendre contre l’oisiveté, surtout lorsque, appartenant à des familles opulentes, ils ne sont point aiguillonnés par le souci de l’avenir. Il leur faut donc une occupation obligée, et cette occupation leur manque au conseil d’état. Vingt auditeurs zélés feraient, en se donnant quelque fatigue, ce qui est réparti entre quatre-vingts, et quarante n’y trouveraient pas l’emploi de tout leur temps.

L’auditorat est une fonction sérieuse et ne peut être conféré qu’à ceux qui se destinent à la carrière administrative. C’est ainsi que le considèrent les jeunes gens qui y entrent ; tous aspirent à l’honneur d’appliquer au profit de l’état l’instruction qu’ils acquièrent. S’il en était qui n’y prétendissent point, ce ne serait pas un amour platonique de l’administration qui les aurait amenés dans le conseil d’état, mais un sentiment de vanité ou de déférence pour leurs familles, et il ne serait pas à désirer qu’ils y demeurassent. Ils apporteraient avec eux des habitudes de dissipation qu’il ne faudrait pas introduire dans cette jeune milice, généralement laborieuse et pénétrée du désir de se distinguer par de bons et utiles services.

Sans doute, le nombre des auditeurs ne doit pas être rigoureusement limité à celui des emplois auxquels ils peuvent prétendre ; plusieurs pourront renoncer à la carrière, d’autres ne déploieront pas une capacité suffisante. Cependant il ne faut pas une disproportion choquante entre ces deux nombres : il ne faut pas qu’un auditeur soit exposé à vieillir dans cette position d’épreuve. Or, c’est ce qui arrive en ce moment. Il en est de très capables, de très zélés, qui ont sept, huit, dix années de service, et personne ne pourrait dire quand ils seront placés.