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LE PARATONNERRE.

menter l’entretien c’était évidemment le moindre de leurs soucis. Pour moi, l’appétit aiguisé par le voyage, j’imitais assez brutalement leur exemple. Vainement me disais-je que quelques frais d’amabilité seraient chose convenable. Le nuage fixé sur le front de la femme de notre hôte glaçait mon esprit et ma verve. Le repas, en un mot, eût fini par une véritable pantomime, si M. Richomme, sa première faim assouvie, n’avait brusquement ranimé la conversation languissante.

— Ah çà ! messieurs les Parisiens, dit-il tout à coup en remplissant mon verre et celui de Maléchard, il me semble que vous êtes diantrement mélancoliques, mais je sais pourquoi. Vous vous attendiez à trouver ici un essaim de beautés. Je vous l’ai dit, c’est la semaine dernière qu’il fallait venir ; nous avions entre autres, lady Rothsay, la plus charmante blonde…

— Je n’aime pas les blondes, dit Maléchard en regardant du coin de l’œil, à ce qu’il me parut, les cheveux noirs qui encadraient le front de Mme Richomme.

— Ce qui veut dire que vous aimez les brunes reprit l’amphitryon d’un air qui visait à la finesse.

— Oui, quand elles sont jolies, répliqua Maléchard.

— Vous n’êtes pas dégoûté, dit M. Richomme avec un gros rire ; eh bien ! puisque tels sont vos principes, je vous dirai confidentiellement que, peut-être ce soir même, vous verrez une femme selon votre cœur, brune et jolie.

Un instinct malfaisant arracha de mes lèvres la niaiserie suivante :

— Mais, à vous entendre, on dirait que nous ne la voyons pas dès à présent.

D’un regard traîtreusement souriant, j’adressai ce joli compliment à Mme Richomme, qui, loin de paraître embarrassée comme je l’espérais, eut l’air de ne pas comprendre qu’il fût question d’elle, et conserva la plus dédaigneuse impassibilité.

— Est-ce que vous attendez ce soir Mme Baretty ? Demanda un des Suisses, la bouche à moitié pleine.

— Ce soir ou demain, dit M. Richomme. Vous connaissez ma belle-sœur ? poursuivit-il en s’adressant à moi.

Je savais vaguement que M. Richomme avait une sœur, mais j’ignorais le nom du mari de cette sœur, ou du moins je l’avais oublié, comme on oublie les choses indifférentes.

— J’ai beaucoup entendu parler de l’esprit et de la beauté de