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suspendu pour le moment. On a reconnu que les points capitaux, tels par exemple que l’introduction des fers, exigeaient des enquêtes et un examen plus approfondi. C’est un moyen dilatoire, car l’enquête n’apprendra rien qu’on ne sache déjà. Le fait est que le moment est des plus inopportuns pour jeter sur notre marché une profonde perturbation. Si aucune perturbation ne devait avoir lieu, le traité serait insignifiant, et la Belgique n’aurait alors qu’en faire. Est-ce à dire que la pensée de ce traité soit mauvaise en elle-même ? Nullement. Ce traité, même à le considérer sous le point de vue purement économique, peut nous être un utile acheminement vers un système dans lequel il faudra entrer un jour. Seulement, il ne faut pas se faire des utopies ; il ne faut pas s’imaginer que le système prohibitif puisse être profondément modifié sans trouble, sans perte, sans souffrance pour personne. La question est donc toute politique pour nous ; c’est une question de prudence, de prévoyance, d’opportunité. Ces sacrifices, ces souffrances, est-ce en ce moment qu’il faut les imposer aux producteurs intéressés dans la question, soit comme capitalistes et entrepreneurs, soit comme travailleurs ? M. le ministre des affaires étrangères a sagement fait en ralentissant le cours d’une négociation dont les avantages économiques et politiques ne pourraient pas, dans ce moment, balancer les inconvéniens.

Les Anglais ont enfin évacué Saint-Jean-d’Acre. Nous devons en féliciter le gouvernement, surtout si Beyrouth a été aussi évacué, s’il ne reste plus de forces anglaises en aucun point de la Syrie. Il ne fallait pas que le traité du 13 juillet eût pour commentaire l’occupation par les Anglais de quelques-unes des possessions rendues à la Porte.

Si on doit ajouter foi aux nouvelles répandues ces jours derniers, il se passe d’étranges choses aux États-Unis. Une population violente et féroce ne connaît d’autre loi que son caprice. Des hommes lui paraissent-ils coupables ? elle s’empresse, sans autre forme de procès, de les noyer ou de les brûler, et cela en pleine paix, sans passion, et sans que les magistrats osent intervenir et réprimer ces horreurs. Le président veut-il user de ses droits constitutionnels ? on s’emporte contre lui, on l’outrage, on l’accuse de ruse, de perfidie, que sais-je ? Le midi s’élève contre le nord, les populations du nord insultent à celles du midi. Triste spectacle, mais qui ne doit pas étonner ceux qui ont étudié l’organisation sociale et politique de ce pays. Il renferme sans doute de nombreux élémens de grandeur et de prospérité : il a fait de grandes choses, et il pourrait en faire encore. Mais depuis quelques années il s’y développe un esprit funeste, un esprit de violence et de désordre, dû sans doute, en grande partie du moins, à ces populations adventices qui s’agglomèrent si rapidement dans les divers points de l’Union, et qui n’ont ni les réminiscences, ni les traditions, ni les idées, ni les mœurs, des fondateurs de la liberté américaine. En présence de ce peuple nouveau, qui n’a qu’une pensée, qu’un but, le gain, et pour qui la vie humaine n’est qu’un moyen et n’a rien de sacré, le pouvoir est sans force, et n’est lui-même qu’un instrument dans la main de la multitude. Il est difficile de ne pas craindre une crise aux États-