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bles à l’ordre public. Ceux qui s’aveuglent sur le but peuvent d’autant plus s’aveugler sur la criminalité des moyens. La société doit se défendre. Il ne lui suffit pas de vivre ; elle a le droit de vivre en paix. Seulement il ne faut pas qu’elle exagère ses craintes. Elle a pour elle la force et le droit. Que le pouvoir unisse la prudence à la fermeté, la vigilance à l’esprit de suite, et il trouvera dans les lois existantes et dans l’union de tous les amis de nos institutions et de l’ordre public tout ce qu’un gouvernement éclairé et régulier peut désirer de force et de moyens.

La question du désarmement occupe toujours les esprits, et, si on en croit le bruit public, elle n’occupe pas moins le conseil des ministres. Elle occupe aussi la presse anglaise, qui s’évertue à prouver que la France doit, avant tout, désarmer sa flotte. C’est bien là une gaucherie britannique, car, en supposant que nos ministres eussent eu la pensée de diminuer nos armemens maritimes, cette insistance étrangère devrait suffire pour leur faire ajourner tout projet de cette nature. Ils ne voudraient pas avoir l’air de céder à des injonctions anglaises.

Au reste, nous sommes loin d’affirmer que le cabinet ait eu la pensée de désarmer en tout ou en partie notre flotte. Loin de là ; nous aimons à croire qu’il reconnaît avec tout le monde que nos armemens maritimes sont loin d’être au-dessus de nos stricts besoins en temps de paix. Maîtres de l’Algérie, obligés de surveiller Tunis, de ne pas perdre de vue l’Orient, toujours agité et mécontent, de protéger nos colonies, notre commerce dans les parages les plus éloignés, nous ne pourrions réduire notre budget de la marine sans compromettre les intérêts et la dignité du pays. Nous sommes convaincus que c’est là l’opinion du brave amiral qui dirige le département de la marine, et dont l’avis doit être d’un si grand poids en cette matière. La France, malgré la vaste étendue de ses côtes, manque de matelots ; la population maritime ne pénètre pas assez avant dans les terres, et, il faut le dire, notre commerce de mer n’est pas encore en état de recruter des marins, d’en former un grand nombre, soit par l’importance de ses expéditions, soit par les appâts qu’il pourrait offrir aux hommes qui seraient disposés à s’embarquer. C’est par les navires de l’état, par leurs équipages, que nous pouvons étendre dans notre population les habitudes de la vie de mer, ces habitudes qui ne s’acquièrent pas dans un jour. Un matelot ne s’improvise pas comme un fantassin. Sans doute cet état de choses peut changer avec le temps. Nous appelons de tous nos vœux le jour où notre commerce maritime prendra le développement qui convient aux intérêts de la France. Mais ce n’est point par des vœux stériles que peut se réaliser ce grand progrès, ce progrès auquel tout nous appelle, et qui cependant se trouve entravé par de nombreux obstacles. Tant que nos lois de douanes resteront ce qu’elles sont, tant que nous n’aurons pas profondément réformé nos règlemens maritimes, nous aurons le chagrin de voir notre marine marchande se traîner en troisième et quatrième ligne parmi les marines marchandes du monde. Il est même d’importantes navigations qui sont presque nulles pour nous. Que le jour vienne où notre commerce mari-