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REVUE. — CHRONIQUE.

confiance dans les vues élevées et dans l’habileté gouvernementale de M. Villemain ; mais, quels que soient la puissance et le zèle du chef de l’instruction publique, nul ne peut se flatter d’accomplir, uniquement par les voies officielles, ce grand travail de l’éducation populaire. Il faut le concours persévérant, efficace, de tous les hommes intéressés au maintien de l’ordre social, propriétaires, manufacturiers, commerçans, hommes de science. L’éducation peut revêtir les formes les plus diverses, pénétrer dans les esprits par mille voies, par l’enseignement direct comme par l’imitation, par l’exemple. L’éducation des enfans se développe et se perfectionne, plus encore que par l’instruction proprement dite, par leurs communications incessantes avec leurs parens, leurs maîtres, leurs supérieurs. L’éducation des classes laborieuses ne peut se faire que par des moyens analogues. Elle ne peut être l’œuvre d’un jour, elle n’est pas l’accomplissement d’une tâche purement matérielle. Elle doit être un des grands buts de notre vie sociale à tous, la mission des classes éclairées. Tout les y convie : le devoir et l’intérêt. Elles ont à choisir entre l’ordre et la sûreté d’un côté, de l’autre le désordre et des périls de jour en jour renaissans.

Au surplus, ces périls ne sont pas à beaucoup près aussi redoutables et aussi graves qu’on pourrait l’imaginer sous l’impression douloureuse de certains faits. Sans doute le bouleversement total de la société, l’abolition de la propriété, du mariage, de la famille, sont le but que se proposent les hommes qui cherchent à égarer les classes laborieuses. Ce n’est pas là un secret. Ces doctrines ont été publiées sous plus d’une forme ; c’est une lumière sinistre qui n’a pas été tenue sous le boisseau.

Heureusement ce n’est pas en France qu’on peut craindre une vaste et puissante propagation de ces doctrines. C’est un des bienfaits de la révolution de 1789, de cette révolution qui a donné à la France des millions de propriétaires, que d’avoir renfermé l’esprit d’innovation dans des limites infranchissables. Désormais, si les réformes sont possibles, les révolutions sociales ne le sont plus. Sans compter les autres propriétaires, il est en France cinq millions de familles, plus de vingt millions d’individus intéressés au maintien de la propriété territoriale. Que les économistes discutent à leur aise sur la grande et la petite propriété, sur la grande et la petite culture, sur le produit net et le produit brut, toujours est-il qu’au point de vue de l’homme d’état, la division des propriétés est aujourd’hui la première sauve-garde de l’ordre social. C’est une digue contre laquelle toutes les irruptions de la démagogie viendront se briser. Les hommes qui imaginent certains bouleversemens ne sont pas moins aveugles que ceux qui ne cessent de rêver le rétablissement de l’ancien régime. La France d’aujourd’hui ne ressemble pas plus à la France de 1793 qu’à la France de Louis XIV. Les lettres de cachet et le maximum, les dragonnades et le tribunal révolutionnaire sont également impossibles.

Est-ce à dire que, rassurés ainsi sur l’issue définitive de ces coupables efforts, il faille se croiser les bras, laisser faire, s’endormir ? Nul ne le pense. Les tentatives désespérées ne sont pas les moins violentes ni les moins nuisi-