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d’esprit et une sûreté de raisonnement qu’on n’a pas encore. Nous sommes dans une transition des plus difficiles. Nous ne sommes plus au nombre de ces pays où la multitude accepte l’ordre social sans examen, sans discussion, par cela seul qu’il existe, qu’il a été fondé par des hommes dont elle ne conteste ni les lumières ni le droit ; bref, nous ne sommes plus de ces pays où l’ordre établi est un article de foi. La soumission aveugle n’est plus de notre temps. D’un autre côté, l’obéissance raisonnée, par conviction acquise, suppose une instruction, des connaissances, des habitudes qui ne sont pas encore complètes et générales chez nous, qui manquent surtout dans les classes ouvrières. On en sait assez pour vouloir examiner : on n’en sait pas encore assez pour bien juger, pour ne pas s’égarer dans ce périlleux examen.

Voyez ce que les perturbateurs ont pu faire croire aux populations à l’occasion du recensement. Les fables les plus absurdes, les plus sottes inventions ont trouvé des esprits crédules, et peu s’en est fallu que les artifices les plus grossiers ne devinssent un moyen efficace de sédition et de révolte. Ajoutez l’aveuglement de l’esprit parti et les encouragemens que des hommes qui en seraient les premières victimes paraissaient donner aux projets et aux tentatives des prolétaires, toujours avec l’espérance, tant de fois démentie, de pouvoir à son gré diriger et contenir le torrent dont on a brisé toutes les digues, et vous concevrez sans peine les alarmes et les craintes qui agitent dans ce moment les esprits les plus sérieux.

Il est deux sortes de moyens à opposer à ce désordre, les moyens immédiats, topiques, et les moyens lents, mais d’une efficacité plus certaine encore. Les remèdes topiques se résument tous en ceci : l’application prudente et ferme des lois en vigueur. Le gouvernement peut y trouver tous les moyens de défense qui lui sont nécessaires. Il n’a besoin de rien de plus.

Les remèdes plus lents sans doute, mais plus efficaces, ne peuvent se trouver que dans l’éducation morale et religieuse du peuple. Dussions-nous être accusés de lieux communs, il nous est impossible de ne pas insister sur la nécessité de donner à la classe laborieuse une instruction solide, propre à la mettre en garde contre les mauvaises passions qui chercheront toujours à l’agiter et à l’égarer. C’est par l’éducation seulement qu’on obtiendra cette obéissance raisonnée à la loi, ces habitudes d’ordre et de légalité qui remplacent l’obéissance passive chez les peuples que l’esprit de notre temps a déjà remués et éveillés. Comment espérer que de funestes enseignemens ne soient pas suivis de résultats déplorables, si d’un côté ils s’adressent aux passions les plus actives et les plus haineuses, et si d’un autre côté on ne travaille pas suffisamment à éclairer l’intelligence et à développer les nobles instincts des hommes qu’on cherche à égarer.

Nous sommes loin de méconnaître tout ce que le gouvernement de juillet a fait pour l’instruction du peuple. Il a pris une grande et noble initiative ; il n’a épargné ni soins ni dépenses ; les hommes éminens qui se sont succédés au département de l’instruction publique ont fait de l’instruction primaire l’objet principal de leurs plus vives sollicitudes. Nous avons la plus grande