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ce qu’il y aura d’amertume, de tristesse, de désolation dans l’ame de Dante ; que sera-ce quand les douleurs de l’exil seront venues s’ajouter aux regrets de la mort de Béatrice, quand le citoyen sera déchiré dans ses affections et dans son orgueil, comme le poète l’est déjà dans son amour ?

Les deux nouveaux biographes de Dante, M. Balbo et surtout M. Artaud de Montor, n’ont pas tiré peut-être de la Vita Nuova tout le parti qu’ils auraient pu. C’est là encore seulement, c’est dans ce livre étrange et touchant, où apparaissent ensemble l’homme avec ses faiblesses, l’écrivain avec ses bizarreries, le poète avec sa grandeur native, qu’il faut aller chercher le mystère de la destinée d’Alighieri, cette pensée de Béatrice, à laquelle, durant les traverses d’une vie politique agitée, durant les préoccupations d’une vie littéraire si remplie, il demeura malgré tout fidèle.

Les graces naturelles de cette première phase de la biographie de Dante s’effacent un peu, et comme à l’estompe, si j’osais dire, dans le travail, d’ailleurs très recommandable, du comte Balbo. Sa Vita di Dante est méthodiquement, régulièrement composée, bien répartie dans ses divisions ; mais les curiosités érudites, les faits particuliers, les vues de détail, en un mot, tout ce que l’on s’attendrait volontiers à trouver de rapprochemens piquans, d’éclaircissemens littéraires, dans une monographie de ce genre, tout cela disparaît un peu dans la trame volontiers ample, et par là même un peu vague du récit. M. Balbo se complaît dans les généralités historiques, qu’il entend à merveille, mais où il lui est bien difficile d’apporter autant d’idées nouvelles et ingénieuses, qu’il eût pu le faire en s’en tenant à son héros lui-même, et en pénétrant avec décision dans les profondeurs de ce grand caractère. La Vita di Dante respire à toutes les pages une noble affection pour cette Italie toujours chère, une admiration passionnée pour son poète, exagérée même, et que M. Balbo n’aura pas de peine, puisque la mode s’en mêle, à faire partager à beaucoup de ses lecteurs. Son ouvrage, écrit d’un style courant et facile, trop facile même, est digne d’attention et d’encouragement ; ce n’est pas un vain effort, l’andar perduto, comme dit trop modestement l’auteur. Sans doute, il y a encore à faire après M. Balbo : le manque de concentration se fait vivement sentir dans son livre, et le détail y est parfois insuffisant ; mais c’est pourtant un travail sérieux qui honore la littérature italienne et qui mérite d’être distingué.

L’Histoire de Dante de M. Artaud de Montor est conçue dans un tout autre système que la Vita di Dante de M. Balbo, à laquelle elle est très inférieure de tout point. Ce n’est plus cette méthode simple, lumineuse, qui glane les textes sans les entasser, et qui les fond volontiers dans son récit. M. Artaud, au contraire, ne choisit pas ; il cite tout, il insère de longs fragmens pris de toutes mains et comme ils viennent, sans trop de scrupule des sources, sans trop de souci de l’opportunité. Ce mélange, cet entassement, fatiguent à la longue. Tout est prétexte à l’auteur pour nommer pêle-mêle ses amis, ses confrères, pour intercaler des hors-d’œuvre, pour multiplier les noms propres. Chacun de ses laborieux chapitres ressemble à un mémoire confus de