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REVUE LITTÉRAIRE.

tures s’entremêlent, à travers les époques, à de lourds massifs, à des statues difformes, à des parties inachevées.

Il serait difficile d’énumérer, même incomplètement, tout ce qui s’est publié depuis quarante ans de livres, de brochures, de traités relatifs à Dante, sans compter les quatre-vingts réimpressions des œuvres du poète. C’est une mode qui a fait son tour d’Europe. Un Allemand, M. Witte, a donné une édition spéciale et savante des lettres d’Alighieri que j’ai eue entre les mains, et on peut voir, dans la systématique Histoire d’Italie du docteur Leo, l’indication de cinq ou six autres ouvrages relatifs à Dante, et tous publiés au-delà du Rhin… qu’ils n’ont pas franchi, grace à Dieu. C’est bien assez d’un gros et indigeste commentaire anglais sur la Divine Comédie, publié à Londres, et dont le premier volume (l’ouvrage est, je crois, resté incomplet, et je ne m’en plains pas) est venu trouver asile dans la bibliothèque du savant M. Fauriel. Ainsi le génie teutonique s’est incliné cette fois devant le génie méridional ; la patrie de Shakspeare comme la patrie de Goethe est venue jeter son obole au pied de la vieille statue d’Alighieri.

Mais c’est en Italie surtout, depuis la grande édition donnée en 1791 par Lombardi, qu’on n’a cessé de s’occuper de Dante avec une vigilance très louable dans son principe, mais un peu monotone à la longue, et désormais insignifiante si elle se prolonge. Après les commentaires de Volpi et de Venturi sont venus ceux de Dionisi, de Tommaseo, de Biagioli, de Costa et de tant d’autres encore. M. de Romanis a aussi publié, il y a vingt ans, un texte de Dante enrichi de notes et de documens importans. On a fait des gloses philologiques, des gloses historiques ; puis on s’est jeté sur les éclaircissemens biographiques, on a éclairé la vie d’Alighieri par l’histoire de son temps, et l’histoire du temps par l’œuvre et les actes du poète. C’est à ce mouvement littéraire que se rattachent plusieurs traités plus ou moins curieux, mais où beaucoup de fatras et de lieux communs se mêlent à quelques recherches nouvelles ; il faut ranger dans le nombre la Commedia illustrata, de Foscolo, le Secolo di Dante de M. Arrivabene, le Del veltro allegorico di Dante du comte Troya, et bien d’autres travaux plus obscurs. Depuis 1830, les commentateurs et les biographes de Dante ne se sont pas reposés. On a disserté sur ses tendances, et on a continué à prêter des opinions au poète ; chacun a exploité à son profit cette grande figure. À Rome, l’abbé Féa prétend que, par quelques pages déclamatoires du De Monarchia sur l’empire romain, Dante a fondé la philosophie de l’histoire, et a le premier montré, avant Bossuet, la main de la Providence tournant les destinées des empires au profit de la religion. À Londres, M. Rossetti (auquel M. de Schlegel a si bien répondu ici même dans cette Revue[1]) a voulu faire de Dante un hérétique, tout comme M. Artaud et M. Ozanam veulent faire de lui à toute force un catholique ardent. Après tout, Dante pourrait bien n’être qu’un poète. Puis, c’est la politique d’Alighieri qu’on met en question ; les uns le font guelfe,

  1. No du 15 février 1836.