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DE LA RENAISSANCE ORIENTALE.

l’Occident. L’Allemagne, en effet, ne s’est pas arrêtée dans le pyrrhonisme de la société grecque et romaine, tel qu’il a été résumé par Lucien, par Lucrèce et par Voltaire. Elle a douté de tout, excepté de la pensée. Son doute, moins tranchant, n’a pas été jusqu’à nier la vie en soi, l’être lui-même. Le panthéisme l’a préservée de l’athéisme. Quand elle a le mieux ébranlé la tradition, elle l’a plutôt transformée que détruite ; car le christianisme, étant entré presque tout entier dans les théories de ses métaphysiciens, n’a jamais été aboli, même un seul jour, dans les esprits ; en sorte qu’elle a passé de la religion à la philosophie, de la croyance au système, sans secousse, sans violence, sans traverser, par-delà les limites de la science et de la foi, ces régions du vide absolu, habitacle des morts, qui brûlent la plante des pieds et dessèchent jusqu’au cœur des vivans. Jamais elle ne s’est trouvée un seul moment en face du néant, et ce souvenir n’empoisonne pas le présent pour elle. Lorsqu’elle s’est égarée, c’est qu’elle a voulu étreindre l’incommensurable, aspirer à l’inaccessible. Or, cette douleur de l’orgueil vaincu dans la lutte avec l’infini, est celle de Jacob terrassé sous les genoux de l’archange ; ce n’est pas celle de l’ame qui vient de se démettre devant le ver de terre ou l’atome des épicuriens. Comment donc s’étonner qu’étant restée orientale dans son scepticisme, l’Allemagne n’ait pas senti, autant que les autres, la douleur attachée au scepticisme de l’Occident ? Elle n’avait pas connu le rire de l’esprit de ruine ; devait-elle connaître le désespoir, compagnon de cette joie ? Rassasiée du dieu des brahmes, des Alexandrins, de Spinosa, où est la merveille, qu’elle n’ait pas jeté ce cri d’un peuple entier, qui, mené dans le désert, hors de l’enceinte de toutes les traditions, a perdu dans le sable la trace et les pas du genre humain.

Dans le vrai, son scepticisme est personnifié par Faust, lequel n’a rien de commun avec la philosophie de Lucien, de Montaigne ou de Voltaire. Étrange sceptique, que dévore la soif de tout savoir ! Le breuvage du spiritualisme l’a enivré. Il aspire avec une ardeur désespérée au principe de vie, de vérité. Il le convoite, le poursuit, il prétend le posséder dans chaque objet. Il le demande à la nature, à la science, aux passions humaines, au monde, à la solitude. De cieux en cieux, son esprit effréné poursuit la lumière des lumières. De ce faîte souverain il est précipité. Il succombe sous une doctrine qui ressemble plus à celles du haut Orient qu’à celles du XVIIIe siècle ; car il ne s’est pas découronné de ses mains dans une obscure rivalité avec le grain de sable ; il a au contraire lutté contre l’Éter-