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DE LA RENAISSANCE ORIENTALE.

qui, de plus en plus confirmée, a été étendue au reste des livres sacrés de l’Orient. Une sorte de divination lui tenant lieu de science, Herder fut, pour le génie asiatique, ce que l’auteur de Télémaque a été au XVIIe siècle pour la critique et le sentiment de l’antiquité grecque.

Ce que Herder tentait de faire par la critique, Goethe le réalisait par des poèmes dont il cherchait le sujet dans le fond de l’Asie. Quelquefois, il prenait pour thème une légende indienne, qui devenait l’ode du Dieu et de la Bayadère ; véritable perle du golfe de Golconde ciselée par un lapidaire de Weimar ; d’autres fois, il s’inspirait de l’islamisme. Sous le titre de Divan oriental-occidental, il composait un recueil de poésies asiatiques qui semblent détachées des voûtes de la mosquée de la Mecque. La pensée, l’ame, la couleur même de ses paroles appartiennent si bien à l’Asie, le christianisme surtout y a si peu de part, que le poète d’Occident se trahit seulement par les détails de la forme et du rhythme, jamais par le sentiment ni par les croyances. Où est ce contraste rendu si pathétique dans les écrivains anglais entre le repos des formes orientales et le tumulte des pensées de l’Occident ? On n’en retrouve pas la moindre trace dans l’esprit de l’Allemand. Vous diriez que la société à laquelle il appartient est aussi tranquille, aussi immuable que la société asiatique. Souvent même cet équilibre vous déconcerte comme un déguisement. Vous voudriez qu’un mouvement, une plainte, un sourire, vous fit découvrir un de vos frères sous le turban musulman. D’ailleurs, ces poésies sont toutes lyriques ; aucune ne vous montre un personnage vivant à la manière de Lara, du Giaour ; voix embaumée, privée de corps et de figure, vous ne savez même où est la main qui ébranle cette harpe éolienne dans ce jardin d’Asie.

Ne retrouverons-nous donc, dans la littérature allemande, aucune de ces personnifications saisissantes où respire sous la langue du Nord tout le génie du Midi ? Il en est une seule qui semble le type de toutes les autres, et appartient à Goethe. Je parle de cette jeune Bohémienne qui, enlevée d’une contrée inconnue, a été amenée en Allemagne par une troupe de bateleurs. Sa langue, mêlée d’italien, d’illyrien, et qui est la langue franke, parlée sur tout le littoral de la Méditerranée ; ses cheveux et ses yeux noirs, son salut oriental, son habitude de dormir sur la terre nue, tout annonce que son pays est la terre du Levant : ce qui achève de le montrer, c’est ce mal du pays pour une patrie perdue, et qu’à peine elle se rappelle ; c’est ce regret vague et brûlant pour le pays des citronniers et des oranges d’or. Puis, lorsque, sous le ciel allemand, elle s’écrie : J’ai froid ici !