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cien. Les pères de l’église éclipsaient les prophètes. Le Christ se détachait peu à peu de Jéhovah ; c’est-à-dire que le dieu de l’Occident tendait à se séparer du dieu de l’Orient. Un des résultats de la réformation fut de rétablir le lien entre l’un et l’autre. Réunir dans la même langue vulgaire l’ancien Testament et le nouveau, la lettre de Moïse et de saint Paul, n’était-ce pas montrer à tous les yeux que l’Asie et l’Europe n’ont qu’une seule parole, une seule vie scellée dans un seul livre ? L’alliance renouvelée de Jéhovah et du Christ marqua ainsi celle de l’Orient et de l’Occident.

De plus, le fondement de la réforme reposant en partie sur l’examen des Écritures, le texte de l’ancien Testament attirant en quelque sorte tous les yeux, il était naturel que l’Allemagne abordât l’Asie par la Judée, comme le Portugal y était entré par la presqu’île des Indes. Le moment était venu où, interprétant Moïse et David avec la même impartialité historique qu’Homère et Sophocle, on allait faire servir les monumens, les livres sacrés de Bénarès et de Persépolis, à commenter ceux de Jérusalem. Tous les rayons du soleil d’Asie se concentraient peu à peu pour éclairer les mystères de la Bible. Cet esprit nouveau dans la critique des Écritures parut surtout dans le livre de Herder sur le Génie de la poésie hébraïque. Jamais assurément théologien n’avait encore si bien dépouillé l’esprit et la religion de l’Occident. On dirait qu’il est né sur cette terre de lumière, et que son intelligence est baignée des rayons du Sinaï. Comme Joseph à la cour de Pharaon, il explique à l’Occident, avec la sagesse patriarcale, les songes du vieil Orient. La science, la philologie, relèveront quelques erreurs de détail ; mais ce que nul ne niera, c’est que la poésie hébraïque est interprétée, dévoilée, exaltée, dans ce livre, avec un esprit véritablement hébraïque. Herder redevient un compagnon de Job, d’Ésaïe, de Moïse, et personne ne mérite mieux que lui le nom de prophète du passé. Il ne commente pas la Bible du fond d’une bibliothèque ; mais, avec cette imagination que les Gésénius, les Ewald, ces maîtres de la science, ont presque toujours confirmée, il se transporte sur l’Oreb, dans le désert, sous un palmier, près de Jérusalem. Là il ouvre sa Bible, il évoque les objets qui l’environnent : les palmiers, les lions, les vents qui portent les nuées, rendent témoignage de la poésie des prophètes ; il feuillette, pour ainsi dire, tout ensemble la nature et la Bible, comme un érudit qui compare deux copies d’un même original ; et l’univers entier devient le commentaire des Écritures. Depuis l’apparition de cet ouvrage, la science des langues, de l’histoire, a tout changé, excepté cette première vue,