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DE LA RENAISSANCE ORIENTALE.

Dans ce changement de demeure, si les formes antiques ont disparu, le fond des instincts, le génie même de la race, sont restés sur le Rhin ce qu’ils étaient sur la mer Noire. De nos jours même, au milieu du tumulte du monde, l’Allemagne n’a-t-elle pas étonné l’Occident par un génie de contemplation qui l’a fait regarder d’un grand nombre comme une sorte d’Orient chrétien, ou d’Asie dans l’Europe ?

Dans ses anciens poèmes, lorsque la race germanique est encore païenne, elle est presque tout orientale par la pensée. Ses dieux nébuleux, pluvieux, sous les frênes du Nord, appartiennent à la même famille que ceux qui sont nés du premier rayon de l’aurore sur les montagnes sacrées de la Bactriane. Cet Odin, dont le crâne est la voûte des cieux, dont l’œil est le soleil, dont les cheveux épars sont les rameaux chevelus des forêts, dont les ossemens sont les rochers du globe, n’est-il pas allié de près aux divinités indiennes ? Le panthéisme, que le christianisme n’a vaincu qu’à demi, se réveille presque toujours avec le génie germanique. Après avoir reparu timidement au moyen-âge, sous la naïveté virginale des poètes de la chevalerie, il a été encore de nos temps le principe vital de l’esprit allemand dans la poésie comme dans la philosophie.

Ces observations suffisent pour expliquer le caractère particulier que la renaissance orientale a reçu de l’Allemagne. Celle-ci n’a point eu de Camoëns dans le golfe de Malabar ; ses vaisseaux ne l’ont point transportée sous des cieux éloignés. La plupart de ses poètes, de ses écrivains, sont restés immobiles à ses foyers, et, malgré cette apparente inertie, il n’est aucun peuple qui reproduise avec plus de vérité, plus d’intimité, l’impression du Levant ; phénomène singulier, dont on a vu la cause principale dans ce qui précède. D’une part, l’Allemagne, sans sortir de ses frontières, trouve dans son propre passé l’écho de ce génie asiatique. Elle sent, elle pense, elle imagine naturellement à la manière des Orientaux. D’autre part, le caractère national n’est pas assez fixe pour imprimer sa forme aux objets étrangers. Génie nomade, qui transporte facilement sa tente de siècles en siècles, de régions en régions, il affecte de se dépouiller pour mieux revêtir un autre temps, un autre climat. Son originalité la plus vive est de disparaître, quand il lui plaît, sous l’objet qu’il imite.

Joignez à cela que, la langue de l’Allemagne moderne s’étant formée en partie sur la traduction des Écritures, l’Orient biblique a exercé sur son esprit une action de chaque jour. Pendant le moyen-âge, le nouveau Testament avait, pour ainsi dire, fait oublier l’an-