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mariée à l’Asie de Mahomet. Parmi les figures orientales, je ne nommerai que le Giaour, demi-chrétien, demi-mahométan, ou plutôt un renégat du christianisme et de l’islamisme, le scepticisme réuni de deux religions, de deux mondes, le double blasphème de l’Europe et de l’Asie. Il s’écrie, en mourant dans le monastère du mont Athos : Je n’ai pas besoin de paradis, mais de repos ! car il n’a que l’apparence du flegme oriental. Le calme est sur son front, la tempête est dans son cœur. Il n’est point assis, à demi enivré d’opium comme ses frères, sur un rivage embaumé. Son cheval fougueux l’emporte ; lui-même est aiguillonné, flagellé, par toutes les passions de notre civilisation haletante. Comme des métaux brûlans et de nature différente, qui se fondent et se tordent dans la fournaise, passions, souvenirs, angoisses, préjugés de notre société chrétienne et de la société musulmane, toutes les douleurs s’unissent dans cette ame à la fois d’or et de bronze. Enfin, s’il faut parler des femmes qui donnent la vie à ces compositions, Gulnare, Medora, Kaled, Zuleïka, Leïla et tant d’autres dont il est difficile de parler sans danger, et sur lesquelles on ne peut se taire, qui sont-elles ? d’où viennent-elles ? où sont-elles nées ? ne sont-elles pas toutes filles de l’Asie ? Gardez-vous cependant de les chercher en Orient ; vous poursuivriez des songes. Si elles portent l’empreinte de l’Orient, elles ont aussi reçu celle de l’Europe. Sous ces fronts impassibles, sous le calme de ces créatures de marbre, couvent les colères, les anxiétés, les tempêtes morales de notre société d’Occident. Où est la résignation, où est l’apathie dans ces cœurs en révolte ? Par l’ame, ce sont nos sœurs. La plus calme de toutes, la plus orientale en apparence, Medora, sur le haut de son rocher, est trop rêveuse, trop pensive, trop promptement brisée, pour être une véritable Algérienne. La mélancolie des lacs d’Écosse est voilée à travers ces paupières sous lesquelles se reflète l’azur de la mer de l’Atlas, et le christianisme bat dans ces cœurs musulmans.

L’influence du génie oriental sur le génie allemand ne date pas d’hier ; il est même impossible d’assigner le temps où elle a commencé, puisqu’elle se retrouve dans la constitution même de la langue allemande, qui semble puisée immédiatement aux sources de la parole orientale, dans l’ancienne langue des Mèdes, dont elle a conservé plus qu’aucune autre l’empreinte et les aspirations. Suivre, depuis la Perse jusqu’à la Scandinavie cette langue qui d’orientale devient peu à peu occidentale, changeant de couleur en même temps que de ciel, ce serait suivre pas à pas la migration des peuples germaniques.