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DE LA RENAISSANCE ORIENTALE.

Au loin la mer est calme ; le soleil s’assoupit sur les flancs assombris des montagnes. Un mol enchantement est répandu dans tout l’horizon, et voilà que soudain ce bleu cristal des mers du Levant réfléchit l’image, la tourmente spirituelle des peuples d’Europe. La voix de l’Occident, le cri discordant de nos sociétés s’est échappé d’un cœur brisé, au milieu même des harmonies du climat de l’Asie ; c’est là tout le voyage de Childe-Harold. Il a rempli des cris de détresse de nos sociétés défaillantes les paysages si calmes, si éternellement sereins de l’Attique, des Cyclades, de l’Asie-Mineure ; ces cris ont retenti jusqu’à nous, et plus d’un homme de l’Occident a reconnu l’écho de son cœur dans cet écho parti du Bosphore.

Au reste, Byron ne s’est pas contenté d’exprimer ce mélange, ces noces spirituelles de l’Asie et de l’Europe par des pensées, des réflexions, des considérations. Il a rattaché son île d’Albion au continent asiatique par des chaînes vivantes, c’est-à-dire par des personnages, des êtres qu’il a animés de son propre souffle, le Corsaire, Lara, le Giaour, Mazeppa, la Fiancée d’Abydos, créatures demi-anglaises, demi-asiatiques, qui se soulèvent comme un grand chœur de voix, et s’appellent, se répondent, autour du bassin de la Méditerranée. Le génie anglais est trop insulaire pour se dépouiller, s’oublier jamais au sein d’un autre climat ; c’est même cette permanence du type national qui donne aux compositions orientales de Byron un sens aussi profond. Lara, qui personnifie toute sa poésie, ce grand seigneur féodal, a erré long-temps loin de l’Occident. Son teint s’est bruni sous un ciel brûlant. Il sait les langues du désert. Sous l’aspect glacial des hommes de son pays, il cache l’ardeur de l’Arabie. Ses habitudes sont asiatiques. Bien plus, n’a-t-il pas été pirate dans une île africaine ? N’est-il pas descendu à Coron dans le palais du pacha ? N’a-t-il pas été délivré par Gulnare qui maintenant, sous la figure du jeune page Kaled, veille sur lui à son retour dans son manoir féodal d’Angleterre ? Faut-il un autre exemple de ce mélange de l’Asie et de l’Europe ? Manfred, cet orgueilleux châtelain, au milieu des glaciers de la Suisse, converse avec les esprits des montagnes. Mais quels sont les génies qu’il invoque ? Ceux qui ne hantent que les contrées d’Orient, Ahriman, Ormuzd. Les dieux du culte persan viennent à sa voix effleurer de leurs pieds de feu les neiges des Alpes : étrange préoccupation de l’Asie jusque sous les brumes d’hiver de la Suisse allemande. Telles sont, dans cette poésie, les figures de l’Occident, un mélange du croisé et du pacha, la féodalité anglo-normande jointe au fatalisme musulman, l’Écosse d’Ossian