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aux bords du Gange. Dans cette idée, il prend un engagement de volontaire dans un détachement de la compagnie des Indes. Il part ; lui-même raconte comment il sortit de l’esplanade des Invalides, à pied, tambour en tête. Ce jeune soldat, qui emportait dans son sac une Bible, les Essais de Montaigne, la Sagesse de Charron, arrive dans les Grandes-Indes ; délié de son engagement, il entreprend seul, sans ressources, d’immenses voyages par terre, afin de mieux fouiller les souvenirs de la contrée. C’est ainsi qu’il parcourt, un pistolet à sa ceinture, sa Bible à son arçon, la distance comprise entre Bénarès et les côtes de Coromandel. C’était le temps de la guerre des Anglais et des Français. Maltraité par les uns et par les autres, il remonte à Suratte. Là, enfin, il rencontre des prêtres persans qui avaient conservé dans l’exil les anciens monumens de la liturgie des mages, à peu près comme les Hébreux traînés en captivité ont partout conservé les livres de Moïse. Il retrouve cet ancien culte du feu, ce reste de flamme qu’Alexandre n’avait pu éteindre et qu’une population sans patrie ranime aujourd’hui de son souffle. Sa curiosité commence par exciter la défiance des prêtres ; mais un séjour de près de dix ans lui sert à gagner l’amitié du plus savant d’entre eux. Le Parsis lui enseigne en secret la langue sacrée de ses ancêtres, le zend, qui avec le sanscrit est pour la haute Asie ce que sont pour notre Occident le grec et le latin, c’est-à-dire une langue qui n’appartient plus qu’au culte. L’espérance de toute sa vie est remplie. Il tient dans ses mains les livres sacrés que n’avait encore vus aucun Européen ; car le regard seul les souille, disent les Mobeds. Il en a recueilli plusieurs copies ; il les lit, il les traduit. Chose qui semble incroyable, il possède dans la langue morte les livres des Mages, compagnons de Darius, de Xerxès, de Cyrus, de Cambyse ; de ses voyages il rapporte toute une bibliothèque composée de manuscrits ; et comme Camoens, avec son poème échappé du naufrage (car on peut bien comparer le héros au poète), il revient en Europe. Il publie les monumens de la religion persane, un peu avant qu’éclate la révolution française. De ce moment, la science de la tradition orientale est fondée. La révolution est consommée dans les lettres comme dans la politique.

D’autre part, l’Angleterre, restée maîtresse des Indes, achevait d’en prendre possession par la science. Un Français a retrouvé la langue et la religion des peuples persans ou zends. Un Anglais, William Jones, a retrouvé la langue des anciens peuples hindous. Depuis que cette double civilisation est rentrée dans la tradition vivante,