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DE LA RENAISSANCE ORIENTALE.

au-delà de la Mésopotamie ; tout au plus, par intervalles, touche-t-il à la Bactriane. Les Indiens et les Hébreux ont vécu cachés, les uns aux autres, dans une solitude claustrale. Ils ne se connaissent pas ; ils appartiennent à une lignée différente. D’ailleurs le peuple de Moïse a bientôt retrouvé ses titres avec sa généalogie. Il est le fils de Jéhovah, le premier né du Très-Haut. Il vit dans la demeure de l’Éternel. Qu’a-t-il besoin de s’inquiéter davantage de son passé et de chercher plus loin ses origines ?

Au contraire, les dieux helléniques étant nés de la première union de l’Occident et du haut Orient, il semble que la Grèce aurait dû, mieux qu’une autre, entretenir le souvenir de sa filiation. Pourtant il n’en fut rien. La Grèce conserva, sans savoir d’où ils venaient, le fond des dogmes asiatiques. De là tout le caractère de cette société. En naissant, la mémoire déjà obsédée de traditions qui lui ont été transmises à son insu, elle s’étonne d’elle-même ; elle cherche d’où viennent, avec sa parole déjà achevée, ses dieux tout-puissans dès le berceau. Bientôt elle se persuade qu’elle seule dans le monde a tout inventé, imaginé, créé ; comme elle remarque surtout d’étonnantes ressemblances entre ses dogmes et ceux du Nil ou de l’Euphrate, elle croit sincèrement que l’Asie lui a pris ses idoles, que la terre entière ne pense, ne vit, ne respire que par cette ame légère qu’elle s’imagine dispenser à toutes choses. Dans la suite de son histoire, elle ressemble à la statue de Pygmalion, qui s’anime de la vie du sculpteur lui-même. La Grèce, comme Galatée, est descendue de son piédestal de marbre pour s’approcher des objets qui l’entourent. D’abord elle rencontre l’Égypte et ses religions, puis, sans s’étonner, elle dit en souriant : C’est moi. Plus tard elle se communique à la Perse ; elle voit de près le grand culte du soleil, au temps de Xénophon ; elle dit : C’est encore moi. Elle continue ainsi d’étendre son existence à tout ce qui l’environne, jusqu’au jour où elle vient à rencontrer le christianisme, c’est-à-dire une doctrine si étrangère au monde, si sévère, si austère, si ennemie des fêtes olympiennes, si différente de tout ce qu’elle avait aimé, chanté, adoré, que, saisie, pour la première fois, d’une stupeur religieuse, elle s’écrie par la voix de tout un peuple, en présence de saint Paul : Ce n’est plus moi !

Dans son voyage en Égypte, en Phénicie, Hérodote fut un des premiers qui remarqua l’infatuation ingénue de ses compatriotes. Il ne put la corriger. La Grèce continua de voir tout l’Orient avec les yeux de l’Ionie, et de cette ignorance même naquit son originalité