Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/107

Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
LA GALERIE ROYALE DE TURIN.

de l’adresse de Rubens, il lui dit un jour : « Je suis bien près, mon ami, d’arriver à la précieuse découverte que vous savez ; si un homme aussi intelligent que vous venait me seconder, sans nul doute nous ne tarderions pas à trouver ces trésors qui s’échappent toujours au moment où je pense les saisir. — Je le crois bien, lui répondit Rubens, il y a tantôt vingt ans que moi je suis en possession de cette science et que j’ai trouvé votre pierre philosophale. — En vérité ! — En vérité ; — et ouvrant la porte de son atelier et montrant à son ami ses crayons et ses pinceaux : — Voici, ajouta-t-il, les instrumens dont je me suis servi pour la découvrir. »

Rubens ne se trompait pas, ses crayons et ses pinceaux furent l’origine de sa grande fortune ; l’art pour lui n’était pourtant pas un moyen ; il cultiva toujours la peinture avec amour. Aussi l’art ne lui fut-il jamais infidèle. Jouissant d’une grande fortune et proclamé le premier peintre de son temps, Rubens ne pensa pas, comme tant d’autres, que, si les ouvrages font dans le principe la réputation de l’homme, l’homme plus tard fait la réputation de ses ouvrages. Il ne vécut jamais sur sa renommée, pas même dans la seconde partie de sa vie. Il vécut sur son talent, qu’il s’appliqua toujours à fortifier, dans ses missions diplomatiques et à la cour des souverains comme dans le repos de l’atelier.

Si de Rubens nous revenons à l’école italienne, un magnifique portrait de Bronzino, digne pendant du portrait du cavalier du peintre flamand, nous servira naturellement de transition. Ce portrait est celui de Cosme Ier de Médicis. Le Bronzino n’est cependant pas coloriste comme Rubens, il accuse peut-être un peu durement la forme ; mais quel caractère et quelle majesté dans cette précision, quelle force dans cette dureté ! Le fils de Jean des Bandes Noires, le grand et astucieux politique dont on a si justement comparé le caractère à quelqu’un de ces terribles ouvrages de Michel-Ange et de Caravage, où de rares et éblouissantes lumières se détachent puissamment sur de fauves demi-teintes et de larges et noires masses d’ombres, renaît-il tout entier dans ce portrait du peintre de Bianca Capello ? Nous n’osons l’affirmer. Vil courtisan de Charles-Quint et de Philippe II, meurtrier sans foi des Valori et des Albizzi, ses prisonniers de guerre, assassin de Philippe Strozzi, amant incestueux de sa fille, bourreau de son propre fils et de sa femme, Éléonore de Tolède, Cosme Ier a protégé magnifiquement les arts et les lettres ; et les artistes et les écrivains, si facilement reconnaissans, séduits d’ailleurs par quelques grandes et rares qualités, ont jeté le voile de