Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.
102
REVUE DES DEUX MONDES.

bens pour intéresser à ce point avec un simple personnage. C’est bien à tort néanmoins que l’on attribue au seul coloris de ce grand peintre le merveilleux effet de la plupart de ses compositions. Quelque paradoxal que cela puisse paraître, nous n’hésiterons pas à dire que Rubens fut aussi grand dessinateur que grand coloriste, dessinateur du mouvement et non de la forme seule, ce qui est fort différent. Trop souvent le dessinateur de la forme pétrifie sa figure ; il métamorphose l’être vivant en statue. Le dessinateur du mouvement anime la statue. Cette tête vit, elle peut se mouvoir ; ce bras vit, il va s’allonger ou se raccourcir ; ce corps vit, il est souple et presque mobile. Le dessinateur de la forme excelle dans chacun des détails de son ouvrage. Il fera une attache du bras, de la jambe ou du col plus parfaite, une main plus régulière, un torse mieux modelé, des extrémités plus précises ; mais l’ensemble, composé de toutes ces parties isolément irréprochables, sera condamné, et peut-être bien à cause de la perfection locale de chacune de ces parties, à une sorte de raide immobilité. Le dessinateur du mouvement ne s’occupe pas de chacune de ces lignes, de chacun de ces contours en particulier. Il s’occupe de la grande ligne d’ensemble qui serpente, en jetant une foule de rameaux intermédiaires de la tête aux pieds du modèle. Il n’arrête pas sa ligne ; il l’épaissit et la sculpte. Le grand dessinateur du mouvement évitera le flamboiement, cet écueil qu’il rencontre à chaque coup de son crayon, ce défaut dominant de l’école de Vanloo, et en général de toute l’école française du dernier siècle. Il sera à la fois précis et accentué, mobile et en même temps suffisamment retenu. C’est par là surtout que Rubens excelle ; c’est là son grand art. C’est là ce qui fait qu’indépendamment de la couleur il serait encore un grand artiste, et surtout un grand modeleur. Si vous en doutez, consultez plutôt la simple esquisse du portrait dont nous venons de nous occuper, gravée d’après le dessin de M. Metalli[1], et qui fait partie de la publication de M. d’Azeglio. Ce n’est guère qu’une belle eau forte terminée : est-il possible cependant d’imaginer rien de plus vivant, de plus intéressant et en même temps de plus saillant et de mieux modelé ?

Rubens avait pour ami un alchimiste qui s’appelait Zaccharie Brendel ; ce jeune homme, fanatique comme tous ses pareils de sa prétendue science, s’épuisait sur ses fourneaux, tout entier à la recherche de la pierre philosophale. Étonné de la vivacité d’esprit et

  1. Par M. Lazinio.