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LA GALERIE ROYALE DE TURIN.

mettre à la suite de l’Amerighi et du Caravage, puis des Vénitiens et enfin du Guide, que n’a-t-il franchement tenté d’être lui-même ? Dans ce tableau de l’Enfant prodigue par exemple, la figure principale de l’enfant est toute à lui, et c’est un chef-d’œuvre. Impossible d’imaginer un gueux plus touchant et plus noble dans son abaissement. Si l’on s’occupe des détails matériels de la composition, quelle science d’anatomie dans les attaches des jambes et dans le dos entrevu dans la demi-teinte ! Le fond du tableau, trop évidemment emprunté à Paul Véronèse, et ce valet du second plan, qu’on croirait du Titien, sont les parties les plus faibles de cette composition, dont elles détruisent d’ailleurs l’unité.

Le Guerchin n’en fut pas moins un des plus grands peintres du second ordre. Sa manière était large et fière ; il savait donner du caractère et de l’expression à ses personnages, de la profondeur au théâtre choisi, de la pompe au costume, de l’intérêt aux accessoires. On rencontre dans ses ouvrages de ces grands partis pris de lumière, de ces larges et puissantes demi-teintes, repos qui plaisent à l’œil et le soulagent. Son coloris est solide et plein d’éclat. Sa science de l’effet arrachait au Guide, son rival, qui venait de voir un de ses derniers ouvrages, ce cri d’admiration qui part d’un cœur généreux et vivement touché par le beau : « Vite ! vite ! s’écriait-il en rentrant dans son atelier et en s’adressant à ses élèves ; laissez tout cela, prenez vos chapeaux, accourez tous, et venez voir comment on doit employer la couleur. »

Qu’eût dit le Guide de Rubens, s’il eût vu ses tableaux de la Sainte-Famille, de l’Incrédulité de saint Thomas, mais surtout le portrait d’un personnage inconnu, qui font partie de la galerie de Turin ? Ce dernier morceau est l’un des ouvrages du grand peintre flamand les plus complets et les plus saisissans que nous connaissions. Il n’y a là ni fracas de couleur comme dans ses grandes compositions, ni tumulte de dessin comme dans ses passes d’armes et ses chasses ; rien de ce qui impose à la foule et la séduit. On ne voit qu’un homme debout, la main droite sur la hanche, et tenant une cravache de la main gauche. Mais quelle énergie dans cette pose et quel caractère dans toute cette figure ! C’est un homme de haute stature, la tête couverte d’un large feutre, le cou entouré d’une collerette de dentelles magnifiques. Il porte la cuirasse ; c’est un guerrier, un cavalier dont le regard a toute l’audace, toute l’insolence de l’époque. Ce personnage est vivant ; la lumière chatoie admirablement sur cette tête haute, et ruisselle sur la cuirasse. Il faut être coloriste comme Ru-