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prêcheurs, comme autrefois les saints dans la Thébaïde, tantôt menaçant, tantôt railleur, et visant même à l’esprit ; mais il n’est pas plus heureux, à l’égard des dominicains du Languedoc, qu’il ne l’avait été à l’égard de saint Antoine dans les grottes de l’Égypte, et il se retire toujours vaincu.

Je regrette que M. Lacordaire ait ainsi mêlé la légende à une œuvre sérieuse, remplie de recherches et vraiment éloquente. La foi, je le sais, est inflexible, et n’admet pas de restrictions ; mais le miracle des saints est-il toujours un article de foi irrécusable, et la cause du christianisme peut-elle gagner quelque chose à être ainsi étayée sur des prodiges ? N’aurait-elle pas plus de profit à s’appuyer sur l’histoire sévère et la raison ? Et de ce point de vue sa défense est facile, surtout quand, pour traduire des convictions profondes, on a la plume de M. Lacordaire. L’auteur, en rappelant dans sa préface les travaux qu’il a déjà consacrés à l’histoire de son ordre, se félicite de ce que personne n’ait signalé son œuvre à l’animadversion du pays, de ce qu’aucune voix ne l’ait dénoncée à la tribune, de ce qu’aucun fait n’ait révélé du mépris ou de la haine. En manifestant cette surprise, il me paraît avoir entièrement méconnu l’esprit de son temps. Personne, je le crois, n’oserait aujourd’hui dénoncer, accuser un homme généreux, qui, pouvant aspirer aux plus légitimes succès, s’exile et s’isole pour se préparer par l’étude et le silence à une mission difficile, et rapporter dans son pays, ainsi qu’il le dit lui-même, les droits qui résultent toujours d’un dévouement éprouvé par le temps. M. Lacordaire rencontrera de l’incrédulité ; bien des gens iront l’entendre sans se frapper la poitrine et sans se confesser, car nous sommes loin des jours de saint Dominique, et pour ressusciter la foi du vieux temps il faudrait un miracle et la puissance du Dieu qui ressuscita Lazare. Mais, s’ils ne dépouillent pas le vieil homme, comme dit l’église, les plus sceptiques eux-mêmes accorderont à M. Lacordaire les sympathies que méritent à tant d’égards son caractère et son talent, et le fervent prédicateur n’aura pas plus à redouter la persécution et la haine que nous n’aurons à redouter nous-mêmes l’inquisition, quand l’ordre de saint Dominique aura jeté de nouvelles racines sur le sol de cette France où l’indifférence et la foi vivent en très bon voisinage.


— Sous ce titre : Les Petites Misères de la vie humaine, le dessinateur Grandville publie un recueil d’illustrations où l’on retrouve la verve et la fécondité de son talent ; un spirituel écrivain s’est chargé du texte, qui doit compléter l’œuvre du dessinateur. Une donnée piquante et l’ingénieuse fantaisie de l’artiste assurent le succès de cette publication.


V. de Mars.