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REVUE. — CHRONIQUE.

séparés de l’église devaient d’autant moins espérer de pitié, qu’ils avaient déclaré un duel à mort au clergé, à ses richesses et à ses vices, et qu’ils justifiaient leur insurrection par la nécessité de mettre un terme à des scandales sans nom. Ce n’était plus seulement le dogme, mais le pouvoir, mais le bien-être matériel, qu’il s’agissait de défendre ; et quand de telles questions se mêlent à des querelles religieuses, il est difficile que ceux qui triomphent après avoir été sérieusement menacés se montrent généreux.

La discussion, du reste, n’est point facile avec M. Lacordaire. Il se couvre de l’autorité du bienheureux Jourdain de Saxe, de Constantin Médicis, évêque d’Orviète, du père Humbert, de Barthélemy de Trente, de Thomas de Catimpré, de Vincent de Beauvais, et, retranché derrière ces agiographes, il déclare qu’il accepte en tout leur témoignage invincible. La critique, en matière de légende, lui semble une hérésie. Pour compléter le catalogue de ses sources irrécusables, il ne lui restait plus qu’à citer Jacques de Vorage. Avant de canoniser ainsi tous les historiens crédules ou prévenus d’une époque barbare, il conviendrait de lire les traités de Mabillon sur le discernement des reliques. Qu’est-il arrivé de cette confiance si pleinement accordée ? C’est qu’en lisant M. Lacordaire, on se croirait ramené au XIIIe siècle. Depuis la naissance de l’apôtre jusqu’à sa mort, c’est un enchaînement de prodiges dont quelques-uns, je l’avoue, me paraissent assez contestables. Sa mère, pendant sa grossesse, rêve qu’elle donne le jour à un chien qui aboie en naissant et jette des flammes par la gueule, et ce songe, qui rappelle un peu celui d’Olympias, la mère d’Alexandre, se trouve plus tard parfaitement réalisé, attendu que le saint a aboyé contre les hérétiques. Au moment où l’on baptise saint Dominique, on voit descendre une étoile sur son front ; et quand, après l’avoir enveloppé dans des langes, on le couche dans un berceau, l’enfant nouveau-né se relève et va s’étendre sur la pierre, attendu qu’il veut faire pénitence et qu’il a horreur de la noblesse. Quand le saint est lancé dans les labeurs et les périls de l’apostolat, les miracles se multiplient et deviennent souvent de plus en plus puérils. Saint Dominique ouvre une conférence avec des hérétiques ; il écrit ses argumens sur un morceau de parchemin, et, jetant ce parchemin dans la flamme, il dit aux Albigeois : Si ma doctrine est vraie, le feu respectera ces lignes que je viens de tracer. Le feu respecte le parchemin, et les Albigeois sont convertis. Je ne nie point ce miracle, mais il me semble que cette fois saint Dominique s’était mis en contravention avec les conciles, car je crois me rappeler qu’un concile tenu à Lyon au Xe siècle avait proscrit, sous les peines canoniques les plus sévères, cette espèce d’épreuve, sous prétexte que c’était tenter Dieu et lui imposer un miracle. Une autre fois, des femmes repentantes viennent consulter saint Dominique, et le saint, après leur avoir fait sur leur conduite passée de très justes reproches, leur dit : Voulez-vous voir le maître que vous avez suivi jusqu’à présent ? Et d’un signe il fait paraître le diable sous la forme d’un pourceau. Nous retrouvons encore Satan dans les dortoirs, dans les parloirs, dans les églises des couvens fondés par saint Dominique. Il poursuit les frères