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LA GALERIE ROYALE DE TURIN.

femme qui a beaucoup aimé. Des larmes coulent de ses yeux baissés ; ses beaux cheveux, qui déjà ont essuyé les pieds du Christ, et qui, aujourd’hui, étanchent l’eau et le sang qui coulent de ses blessures, ondoient richement sur ses épaules. Il est impossible d’imaginer une plus charmante et plus touchante attitude, de plus délicieuses mains, une plus magnifique chevelure que celles de la sainte, et de plus beaux pieds que ceux du Christ. Ces pieds sont, chose singulière ! les seuls que l’on voie dans cette composition, qui ne renferme pas moins de douze personnages sur les premiers plans. Gaudenzio Ferrari, fidèle aux doctrines des écoles primitives, a soigneusement enveloppé d’amples draperies les extrémités inférieures de la Vierge et des saintes femmes qui l’entourent. En arrière du groupe formé par le Christ, la Vierge, les femmes et le disciple en contemplation, de saints personnages se tiennent dans diverses attitudes, pleurant l’homme-Dieu, et tous les yeux attachés sur son beau corps. La tête du Christ est belle, sereine ; c’est bien la tête divine du rédempteur. L’étude du torse est savante. Gaudenzio Ferrari était un peintre naturaliste. Ce ne sont pas là les courbes pleines et un peu conventionnelles de l’antique, ce ne sont pas non plus les formes maigres et pauvres des écoles primitives. Les jambes et les pieds sont magnifiques, les mains bien souples, bien mortes, mais toujours belles ; en général, les extrémités sont traitées avec cette rare perfection qui n’appartient qu’aux grands maîtres. — Les fonds du tableau sont tout-à-fait dans le style de Léonard de Vinci. Ce sont, à peu de distance, vers la droite, de grandes masses de rochers coupées à pans, dans l’épaisseur desquelles le sépulcre est ouvert ; à gauche s’arrondissent des bouquets d’arbres d’un vert vigoureux, et à l’horizon se dressent de hautes montagnes. Sur le contrefort d’une de ces montagnes, on aperçoit les trois croix, et à l’entour de la plate-forme du rocher où on les a plantées, circulent indifféremment des cavaliers et des soldats. — Par une sorte d’anachronisme commun aux peintres de cette époque, Gaudenzio Ferrari a placé au nombre des spectateurs de cette scène de douleur saint Antoine abbé et saint Jérôme. Ces artistes dévots commettaient volontiers ces anachronismes, qu’on peut dire prémédités. Ils croyaient, de cette façon, s’attirer la faveur de leurs saints patrons, qu’ils plaçaient en si bonne compagnie.

Nous ne devons pas être surpris si des enthousiastes du talent de Gaudenzio Ferrari, et dans le nombre Paolo Lomazzo et Lanzi, ont placé ce peintre sur la même ligne que Raphaël, tant pour la science