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qu’un symptôme de l’état général des esprits, je dirais presque de leur abaissement. Dans les affaires publiques, dans le gouvernement du pays, on n’aperçoit plus de grands principes à défendre, des intérêts nationaux à protéger, un système à faire prévaloir. Cela a pu être bon autrefois. Aujourd’hui qui songe à s’élever à ces hauteurs ? C’est un effort qui paraîtrait ridicule ; on l’appellerait une prétention de visionnaire, un rêve de théoricien. Ce qu’on veut avant tout, c’est d’être gouverné par les siens, ou, pour mieux dire, c’est de gouverner avec eux ou sous leur nom. Peu importe les choses ; nul n’y regarde ; on ne songe qu’aux hommes ; les perdre ou les exalter, c’est là toute la politique.

Aussi ne sommes-nous pas surpris de voir des hommes d’expérience et d’autorité se préoccuper tristement de l’avenir, et se demander où est le point d’arrêt sur cette pente au bas de laquelle nous attend, nul ne l’ignore, une effroyable anarchie. Que peut-on espérer, disent-ils, d’une session à laquelle on prélude par d’implacables colères, d’une chambre où les partis paraissent vouloir se fractionner de plus en plus ? Que peut-on espérer d’un ministère qui ne pourra avoir d’autre souci que celui de sa propre existence, et d’une opposition qui, n’étant pas homogène, ne pourrait pas offrir au pays un cabinet et une majorité prête à le soutenir ? Si le ministère, grace à la puissance et à la hardiesse de ses orateurs, parvient à franchir les défilés où l’attendent ses redoutables adversaires, il n’en sera pas moins affaibli par la lutte ; il aura vécu, mais aura-t-il pu gouverner ? Le pourra-t-il ? S’il succombe, qui osera recueillir ce périlleux héritage ? Qui pourrait se faire illusion sur les immenses difficultés qui environnent aujourd’hui le pouvoir ?

À l’intérieur, d’un côté, des esprits agités, des préventions enracinées, des conspirations permanentes, des associations redoutables, et des principes subversifs s’infiltrant jusque dans les ateliers et les chaumières ; de l’autre côté, le découragement, l’apathie, ce funeste laisser-aller qui prépare dans les états le triomphe, momentané du moins, des minorités.

À l’extérieur, l’aspect général des affaires n’est guère plus favorable. Il est quelques nuages à l’horizon. Sans vouloir affirmer qu’ils ne tarderont pas à grandir et à nous menacer d’une tempête, il faut du moins reconnaître que l’homme d’état ne doit pas les perdre de vue, qu’ils doivent au contraire fixer son attention, éveiller sa sollicitude. Que signifient les armemens maritimes de l’Angleterre ? Est-ce l’Inde, est-ce la Chine qui réclame ces nombreux renforts, qui met en mouvement tous les arsenaux de la Grande-Bretagne ? N’y a-t-il pas un but plus rapproché pour ces efforts, pour ces dépenses faites dans un temps où les finances de l’Angleterre paraissaient commander la plus stricte économie ?

Que signifient les armemens de la Turquie, de la Turquie impuissante par elle-même, et dont les folles démonstrations offrent un contraste si choquant avec l’épuisement du trésor impérial et la misère du pays ? Que signifient les troubles qui se renouvellent, dit-on, en Syrie, et l’influence que s’arrogent dans ce pays les agens officiels et les agens déguisés de l’Angleterre ? Que