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REVUE LITTÉRAIRE.

trée chère à Mme Reybaud ; son esprit s’est vivement préoccupé de ce mélange d’idées gracieuses et de sombres conceptions qui nous frappe dans ce pays, où les peintres font leurs Vierges si attrayantes avec l’expression mutine de leurs brillantes prunelles, et leurs Christs si repoussans avec leurs corps tout couverts de plaies. Elle aime à faire comme Zurbaran, qui a mis auprès de la tête hideuse et gigantesque d’Holopherne une Judith élégante et frêle, dont la main ne pourrait jamais soulever son affreux trophée. Cependant, tout en se plaisant à ces contrastes, Mme Reybaud s’efforce d’en adoucir les effets : si elle ensevelit le dénouement d’un drame mystérieux et terrible dans les profondeurs embaumées de quelque jardin, c’est pour que le sang qu’elle est obligée de répandre soit bu bien vite par une terre en fleurs. Elle n’a pas repoussé les images funèbres qui assiégèrent avec tant de persistance, il y a dix ans, les cerveaux de nos romanciers ; mais mille délicatesses féminines de pensée et de langage empêchent leur éclat lugubre de jeter sur ses œuvres des reflets trop effrayans. Dans l’analyse des passions, dans la manière de poser et de défendre les principes, dans tout ce qui constitue la partie morale du talent, Mme Reybaud a la même retenue que dans ce qui en est pour ainsi dire la partie matérielle. Une seule fois, à une époque où l’on avait vu s’élever de tous les côtés des apôtres d’une prétendue régénération sociale, où presque tous les romanciers étaient brouillés avec le mariage, où chaque page des livres nouveaux contenait une apologie de la femme et une diatribe contre son tyran, Mme Reybaud crut pouvoir, dans son roman de Deux à Deux, hasarder son plaidoyer en faveur de la victime dont tout le monde embrassait la cause ; mais elle le fit sans trop d’aigreur pour la société et de haine pour le code civil. Dans la suite, elle ne manifesta plus jamais ces velléités réformatrices. Espagnoles et Françaises, ces nouvelles que nous avons choisies pour montrer quelle mesure cette intelligence distinguée pouvait remplir, sont complètement exemptes de toute tendance ambitieuse. Un sentiment de la réalité, qui répand de la chaleur et de la vie, une remarquable énergie dans les peintures du cœur, quelquefois des tendances à des pensées élevées, voilà ce qui fait, avec la poésie des descriptions et le luxe des détails, le charme de ces contes dont nous rappelons aujourd’hui le souvenir à Mme Reybaud. Ce n’est pas que ses dernières productions aient perdu toute trace de ces aimables et sérieuses qualités. Loin de faire un contraste frappant avec les œuvres du passé, Madame de Rieux rappellerait plutôt sa meilleure époque littéraire. Ainsi les chastes confidences de l’ame y font souvent place à des emportemens d’éloquence, et jusque dans les descriptions qui sont d’ordinaire, abondantes et poétiques, on trouve ce besoin, ou, pour mieux dire, cette habitude d’émotions qui caractérisait une école dont l’influence s’est bien affaiblie. Quand Mme de Rieux va errer à travers les vastes campagnes de l’Amérique, c’est presque toujours un air de tempête qu’elle respire ; le soir, si elle ouvre sa fenêtre pour contempler le ciel, il y a dans l’espace des nuages inquiets, suivant la belle expression d’un poète, et le vent qui s’élève des profondes allées du jardin lui apporte des exhalaisons brû-