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les aînées de Mathilde. Les héroïnes de Mme Reybaud n’ont pas souffert pendant le cours d’autant de volumes que l’héroïne un peu écrivassière de M. Sue ; mais leurs douleurs, pour avoir pu se renfermer dans un seul in-octavo, n’en ont pas été moins vives et moins poignantes. La Petite Reine est un roman plein de terribles scènes qui rappelle parfois le Dernier des Mohicans. Toutefois, malgré l’incontestable intérêt qui vous captive dans les dernières productions de Mme Reybaud, nous n’y retrouvons plus au même degré qu’autrefois ce talent si flexible et si hardi auquel nous devons Théobald, Claude Stocq, et tant d’autres récits émouvans.

Si un talent comme celui de M. Soulié, un talent dont la puissance pourrait presque s’évaluer d’une façon numérique et brutale comme celle des machines à vapeur, dont on pourrait dire par exemple : « C’est un talent de la force de dix romanciers, pouvant donner par an de vingt à trente in-octavos ; » si une imagination comme celle qui a conçu les Mémoires du Diable, la Confession générale, et tant d’autres entreprises effrayantes ; en un mot, si la plus robuste de toutes les organisations littéraires vient à se briser dans les rouages implacables du journalisme, quel sera le sort d’un esprit qui doit tenir de la nature elle-même des organes fins et délicats ? Madame de Rieux a été publiée par feuilletons ; nous savons que plus d’une héroïne de Mme Reybaud mêle en ce moment sa voix éloquente ou plaintive aux cris qui se poussent dans la mêlée politique de tous les jours. Ce qui distinguait surtout l’auteur des Deux Perles, c’était une louable étude de cette couleur locale dont on s’est si vivement préoccupé, il y a dix ans, des efforts de style quelquefois heureux, constamment soutenus, enfin quelque chose qui sentait la méditation et le travail sans nuire aux effets de l’harmonie gracieuse et facile à saisir que doit présenter toute œuvre d’imagination. Le développement de ces précieuses qualités exige dans la vie littéraire un grand calme et un grand recueillement. J’aimerais à montrer à Mme Reybaud ce qu’elle a été et ce qu’elle pourrait être pour lui faire comprendre quel danger elle court dans les voies nouvelles où elle s’engage. J’ai sous les yeux deux volumes intitulés Espagnoles et Françaises, où sont rassemblées plusieurs productions publiées à différentes époques de sa carrière. Je ne puis pas dire qu’il y ait dans ce livre quelques-unes de ces créations presque divines dont l’esprit conserve et bénit long-temps les traces enchantées. Après l’avoir fermé, je n’ai pas sous mon front, comme en fermant Werther ou Manon Lescaut, le regard de deux yeux noirs ou le sourire d’une bouche vermeille que je n’ai jamais vus et dont je me souviendrai toujours. Je n’ai pas eu une de ces dangereuses et séduisantes visions que les gens d’église cherchaient jadis à conjurer en brûlant les romans ; mais il me reste des émotions qui ont du charme, et que je savoure doucement jusqu’à ce qu’elles s’éteignent tout-à-fait après s’être graduellement affaiblies. On trouve, en lisant les Deux Perles, un récit plein d’une mélancolie douloureuse, habilement encadré dans un tableau des mœurs à la fois austères et passionnées de l’Espagne. L’Espagne est une con-