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LA GALERIE ROYALE DE TURIN.

mais Sabatelli, même dans ses compositions mystiques sur l’Apocalypse, est plutôt un peintre fantastique qu’un peintre religieux ; il manque de simplicité, de profondeur et surtout d’onction. Canova, qui certes fut animé toute sa vie d’un autre sentiment que le sentiment religieux, a-t-il un successeur ? Les sculpteurs de l’école religieuse, comme les peintres, sont maniérés quand ils veulent être profonds, affectés quand ils veulent être savans, pauvres de forme et ridicules d’expression quand ils veulent être simples et naïfs. Ils ont la foi sans doute, mais la foi stérile, la foi sans les œuvres, sous le rapport de l’art du moins.

Les chefs du mouvement religieux ont néanmoins toute l’intolérance de nouveaux convertis. M. R. d’Azeglio, homme d’intelligence et d’imagination, qui obéit plutôt à l’impulsion donnée qu’il ne cherche à l’activer, n’échappe pas toujours à l’influence de cette sorte d’esprit de secte, fâcheux surtout dans la critique, à laquelle il enlève ce caractère de souveraine indépendance, de haute et impartiale équité, qui seul peut donner de l’autorité à ses jugemens. Fallait-il, par exemple, faire une si terrible querelle au malheureux Lomazzo, cet estimable historiographe de l’art, parce qu’il attribue à la manière large et toute nouvelle avec laquelle Gaudenzio éclaire ses tableaux, le caractère de placidité religieuse et en quelque sorte de sainteté dont ils sont empreints ? Lomazzo, dans cette circonstance, n’a qu’un tort, c’est d’attribuer ces grands résultats à cette seule cause ; mais il n’est pas moins vrai que cette lumière large et calme, que Gaudenzio a répandue sur le tableau de la Déposition de Croix, est pour beaucoup dans l’effet sublime de son œuvre. Qu’on l’éclaire différemment, et cet effet est détruit, quoique cependant l’expression de chaque personnage reste la même. C’est peut-être là un raisonnement d’ouvrier (artigiano argomento) ; néanmoins nous différons complètement d’avis sur ce point avec M. d’Azeglio, nous croyons que certaine disposition de la lumière, et par conséquent de la matière, peut contribuer à faire naître dans l’ame du spectateur les mouvemens les plus compliqués. Le sublime ne sort pas tout armé du cerveau du poète et du peintre : une forme plus ou moins heureuse, une épithète pittoresque, un coup de pinceau vigoureux, une certaine combinaison de la lumière, tous moyens mécaniques, il est vrai, concourent à sa composition. Dussions-nous être accusé de matérialisme comme l’innocent Lomazzo, nous ne cacherons pas que telle est notre opinion.

S’il y eut jamais un grand et beau sujet de tableau, c’est celui de