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LITTÉRAIRE.

Il faut qu’il y ait dans toutes les choses de ce monde deux principes qui se combattent. Dans la littérature, les deux élémens qui luttent entre eux, c’est l’industrie et la pensée. L’un s’accroît aux dépens de l’autre : plus l’industrie est active et bruyante, plus la pensée est sujette à des défaillances et à des langueurs. Or, dans ces derniers temps, il est impossible de ne pas le reconnaître, c’est le côté industriel qui se développe chez nos écrivains, et qui se développe tous les jours dans de plus effrayantes proportions. On dit qu’il y a dans les ateliers d’arts mécaniques une façon de distribuer le travail qui le rend plus facile et plus rapide : s’il s’agit de faire un carrosse, l’un est chargé des roues, l’autre des ressorts, un troisième du vernis et des dorures. Nous serions vraiment tenté de croire, en voyant certaines œuvres qui se disent pourtant des œuvres d’intelligence, qu’il y a des fabriques littéraires où l’on a recours à ces procédés.

Si l’on veut chercher la cause de ce déplorable mouvement, qui pousse la plupart de nos romanciers dans des voies purement commerciales, il faut remonter à une création déjà ancienne dans le journalisme, celle du roman-feuilleton. La presse n’a pas assez du monde réel pour les besoins de son activité incessante, il lui faut le monde imaginaire. C’est une tendance qui n’est pas blâmable en elle-même. Qu’on fasse à la fiction une plus large part dans l’existence de tous, rien de mieux ; mais plus elle sera appelée à exercer de