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PROGRÈS DE LA RUSSIE DANS L’ASIE CENTRLE.

hardie et aventureuse comme doit l’être une nation de marins et de commerçans, l’Angleterre dédaigne de cacher que son intérêt ne soit pas l’unique mobile de toute sa politique, et ses guerres l’ont bien souvent prouvé. La Russie, au contraire, véritable fille du bas-empire, n’en appelle jamais au bras de ses soldats que lorsque ses négociateurs ont entouré la proie qu’elle convoite d’un inextricable réseau de prévenances intéressées, de dons corrupteurs et de trahisons habilement colorées. Son succès n’est plus alors qu’une simple question de temps. À la veille de signer le fatal traité d’Unkiar-Skelessi, Mahmoud disait à de fidèles serviteurs, effrayés de le voir se jeter dans les bras de la Russie, ces paroles que j’ai bien souvent entendu citer à Constantinople : Que voulez-vous, mes amis ? Au risque d’être étouffé plus tard, un homme qui se noie s’accroche à un serpent.

Tandis que deux empires immenses agissent, l’un à ciel ouvert, l’autre dans l’ombre, et ne rêvent également que de nouvelles conquêtes, les autres nations de l’Europe, plus ou moins ralenties dans leur essor par des préoccupations domestiques, demeurent dans un état stationnaire et ne paraissent pas s’inquiéter assez des graves intérêts de leur avenir. Le danger sans doute n’est pas encore à leurs portes ; on peut conjurer l’orage, mais c’est aussi en politique qu’il est vrai de dire d’une trop grande immobilité qu’elle est un symptôme de mort.


Édouard Thouvenel.