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ques idées civilisatrices. Pour rendre plus fréquent le contact des Kirghiz-Kazaks avec les autorités russes, il fit construire, sous le feu des forts de l’Oural, des mosquées et des écoles, où furent attirés les enfans des principales familles. Les vastes plaines de l’Astrakhan offrirent désormais aux pasteurs nomades un refuge contre les rigueurs de l’hiver. Enfin, on s’efforça de donner plus d’activité aux relations commerciales des deux pays. Les Kirghiz préparent avec assez d’habileté les peaux de chèvre et de mouton, et cet article forme leur principal objet d’échange. Comme tous les peuples à demi sauvages, ils ne comprennent point l’utilité de la monnaie et rejettent toutes les transactions qui se résolvent par le paiement d’une somme d’argent. Orenbourg est le marché où ils se rendent de préférence. C’est là qu’ils amènent leurs troupeaux et apportent, outre une énorme quantité de pelleteries, des tissus de poils de chameau, des dacki, espèce de vêtement à l’usage des Kalmouks, des cornes d’antilope, quelques graines et de la racine de garance. En 1820, ils exportèrent quatre cent onze mille têtes de bétail. Les Russes, à leur tour, leur fournissent la plupart des objets manufacturés dont ils ont besoin, tels que des chaudrons, des haches, des ciseaux, des faucilles, des étoffes communes en drap et en velours, des coffrets, de petits miroirs, des perles fausses, des cuirs ouvrés, du tabac, singulier amalgame qui ne manque pas d’une certaine signification.

Les revenus du commerce compensent outre mesure les sacrifices que le gouvernement est obligé de faire pour entretenir les forts, payer les khans, les escortes armées des caravanes, et même les agens russes qui continuent à s’immiscer dans l’administration intérieure des hordes. Toutefois, on change les mœurs d’un peuple moins facilement que sa constitution politique ; quelques mots montreront combien les idées et les habitudes des Kirghiz-Kazaks ont encore gardé d’originalité et de vigueur sauvage. Les obligations de l’homme dérivent de trois sources qui sont Dieu, la famille et l’état. Quel que soit le degré qu’un peuple occupe dans l’échelle de la civilisation, toujours on retrouve en lui l’instinct ou le souvenir de ces grands devoirs, indispensables au maintien comme au développement de toute société. Les Kirghiz-Kazaks ne les méconnaissent donc pas entièrement ; mais ils sont guidés par une si faible lueur, que leur marche demeurera long-temps incertaine et pénible.

Quelle est votre religion ? demandait un jour M. de Levchine à deux Kirghiz. Nous ne savons pas, répondirent-ils. Prononcé chez nous, au sein de notre société sceptique et railleuse, ce mot