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chose ? Depuis le commencement du printemps, j’avais visité les bords du Rhin, la Belgique, la Hollande et les principales villes d’Angleterre : la fibre voyageuse était émoussée. Aller aux eaux ? En quittant Londres, j’avais passé quinze jours à Brighton et trois semaines à Dieppe : j’avais assez de la mer. Vichy, Barèges, le Mont-d’Or ? Archi-connus ! D’ailleurs la saison des bains touchait à sa fin. Rester à Paris ? Fi donc ! À part les sergens de ville, qui reste à Paris à pareille époque ? Les épiciers même ont des villas où ils passent les beaux jours de l’automne. Ce n’était pas que, dépourvu d’une habitation champêtre, il me fût interdit de suivre cet exemple. Je possédais entre Troyes et Bar-sur-Seine un domaine de quelque importance où se trouvait un pavillon fort habitable, et il ne tenait qu’à moi d’y mener indéfiniment la vie de propriétaire campagnard ; mais je me sentais les nerfs agacés à la seule idée des plaines de la Champagne. Comment donc venir à bout de ce maudit mois de septembre ?

Octobre ne m’inquiétait pas ; j’avais par devers les monts de l’Auvergne une aimable cousine qui devait se marier à cette époque. En qualité de proche parent et de célibataire encore jeune, peut-être aussi en raison composée d’une trentain de mille livres de rentes dont je jouis et de trois ou quatre demoiselles à marier qui embellissent la branche de ma famille, établie aux environs de Saint-Flour, j’avais été promu, dans cette circonstance, à l’emploi solennel de premier garçon d’honneur. Je me faisais une fête de ces noces auvergnates, et, en y songeant, mon imagination d’avance dansait la bourrée. Le mois d’octobre avait donc son emploi ; mais que devenir durant les trente jours bien comptés de cet infernal mois de septembre ?

Pour la cinquantième fois peut-être, je m’adressais cette question sans parvenir à y trouver une réponse satisfaisante lorsque ma méditation fut interrompue à l’improviste par un de mes amis, l’élégant et spirituel Edmond Maléchard, que je n’avais pas vu depuis quelque temps.

— Encore à Paris ! me dit-il avec cette familiarité enjouée qui se prend aisément pour l’accent de la cordialité et de la franchise ; je venais vous voir à l’aventure et à peu près convaincu que je ne vous trouverais pas. Que faites-vous cet automne ?

— C’est ce que je me demande, répondis-je en lui offrant ma boîte à cigares.

— Qu’avez-vous décidé ?

— Rien.