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POÉSIE.

Comme un groupe plaintif d’amantes délaissées,
Sur la porte debout ma vie et mes pensées.

Hélas ! que vais-je faire et que vais-je chercher ?
L’horizon charme l’œil : à quoi bon le toucher ?
Pourquoi d’un pied réel fouler les blondes grèves,
Et les rivages d’or de l’univers des rêves ?
Poète, tu sais bien que la réalité
A besoin, pour couvrir sa triste nudité,
Du manteau que lui file à son rouet d’ivoire
L’imagination, menteuse qu’il faut croire ;
Que tout homme en son cœur porte son Chanaan,
Et son Eldorado par-delà l’Océan.
N’as-tu pas dans tes mains assez crevé de bulles,
De rêves gonflés d’air et d’espoirs ridicules ?
Plongeur, n’as-tu pas vu sous l’eau du lac d’azur
Les reptiles grouiller dans le limon impur ?
L’objet le plus hideux que le lointain estompe
Prend une belle forme où le regard se trompe.
Le mont chauve et pelé doit à l’éloignement
Les changeantes couleurs de son beau vêtement ;
Approchez ce n’est plus que rocs noirs et difformes,
Escarpemens abrupts, entassemens énormes,
Sapins échevelés, broussailles au poil roux,
Gouffres vertigineux et torrens en courroux.

Je le sais, je le sais. Déception amère !
Hélas j’ai trop souvent pris au vol ma chimère !
Je connais quels replis terminent ces beaux corps,
Et la syrène peut m’étaler ses trésors :
À travers sa beauté je vois, sous les eaux noires,
Frétiller vaguement sa queue et ses nageoires.
Aussi ne vais-je pas, de vains mots ébloui,
Chercher sous d’autres cieux mon rêve épanoui ;
Je ne crois pas trouver devant moi toutes faites
Au coin des carrefours, les strophes des poètes,
Ni pouvoir en passant cueillir à pleines mains
Les fleurs de l’idéal aux chardons des chemins.
Mais je suis curieux d’essayer de l’absence,
Et de voir ce que peut cette sourde puissance ;