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Tout bas à mon oreille ainsi la voix chantait,
Et le désir ému dans mon cœur palpitait.

Comme au jour du départ on voit parmi les nues
Tournoyer et crier une troupe de grues,
Mes rêves palpitans prêts à prendre leur vol
Tournoyaient dans les airs et dédaignaient le sol ;
Au colombier, le soir, ils rentraient à grand’ peine,
Et des hôtes pensifs qui hantent l’ame humaine,
Il ne s’asseyait plus à mon triste foyer
Que l’ennui, ce fâcheux qu’on ne peut renvoyer !

L’amour aux longs tourmens, aux plaisirs éphémères,
L’art et la fantaisie aux fertiles chimères,
L’entretien des amis et les chers compagnons
Intimes dont souvent on ignore les noms,
La famille sincère où l’ame se repose
Ne pouvaient plus suffire à mon esprit morose ;
Et sur l’âpre rocher où descend le vautour
Je me rongeais le foie en attendant le jour.
Je sentais le désir d’être absent de moi-même ;
Loin de ceux que je hais et loin de ceux que j’aime,
Sur une terre vierge et sous un ciel nouveau,
Je voulais écouter mon cœur et mon cerveau,
Et savoir, fatigué de stériles études,
Quels baumes contenait l’urne des solitudes,
Quels mots balbutiait avec ses bruits confus,
Dans la rumeur des flots et des arbres touffus,
La nature, ce livre où la plume divine
Écrit le grand secret que nul œil ne devine !
Je suis parti, laissant sur le seuil inquiet,
Comme un manteau trop vieux que l’on quitte à regret,
Cette lente moitié de la nature humaine,
L’habitude au pied sûr qui toujours y ramène,
Les pâles visions, compagnons de mes nuits,
Mes travaux, mes amours, et tous mes chers ennuis.
La poitrine oppressée et les yeux tout humides
Avant d’être emporté par les chevaux rapides,
J’ai retourné la tête à l’angle du chemin,
Et j’ai vu me faisant des signes de la main,