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LITTÉRATURE AMÉRICAINE.

toire d’Amérique et l’histoire de la France moderne. Dans les deux pays, nous voyons des hommes qui avaient conquis dans les lettres leur renommée comme esprits supérieurs, appelés par leurs compatriotes à présider à la nouvelle organisation sociale. C’est un homme de lettres, Jefferson, que le congrès américain chargea de la rédaction de sa déclaration d’indépendance. C’est aussi à un homme de lettres, M. Guizot, que la chambre française a confié, en 1830, le soin de rédiger sa protestation contre les ordonnances. Ce sont des hommes de lettres qui, dans ce dernier pays, ont tracé de leur main le plan de la nouvelle politique, politique que nous voyons encore se développer sous leurs auspices, sous leur direction.

Et pourquoi en serait-il autrement ? Pour rétablir entre le passé d’une société et son présent une harmonie que des évènemens imprévus ont rompue ; pour mettre ses vieilles habitudes d’accord avec ses besoins nouveaux, avec ses tendances providentielles, pour diriger en un mot ce travail si complexe, il faut des esprits calmes, éclairés et prévoyans ; il faut une foi, mais une foi que modèrent l’expérience et un sentiment profond de l’imperfection de la nature humaine. Le peuple américain, du reste, n’a pas eu à se repentir d’avoir chargé ses écrivains de la haute mission de présider à sa réorganisation sociale ; il a trouvé en eux des guides sûrs et éclairés, dont l’exemple l’instruit et l’anime encore, aujourd’hui que ces grands hommes, ayant depuis long-temps payé la dette commune de l’humanité, jouissent d’un repos que ne leur accordaient point les passions contemporaines.

Pourquoi M. Vail ne s’est-il point arrêté un peu plus sur cette partie si belle de l’histoire littéraire de son pays ? Pourquoi s’est-il mis obstinément à la poursuite d’une foule de renommées douteuses, comme s’il eût voulu suppléer à la médiocrité par le nombre ? Nous cherchions le singulier dans les annales de l’Amérique, et, ne l’ayant point rencontré, nous éprouvions le besoin de nous replier sur cette époque comparativement si brillante. S’il nous était accordé de ne point suivre l’exemple de M. Vail, et que nos limites nous le permissent, nous citerions volontiers quelques fragmens des écrits politiques de Jay, de Hamilton et de Jefferson. On y trouverait à côté des vues les plus larges, les plus libérales en matière d’administration, un sentiment profond des besoins de la situation nouvelle dans laquelle ils venaient de placer leur pays. Ils étaient démocrates, démocrates peut-être jusqu’à l’exagération, et cependant ils ne tardèrent pas à se trouver pour la plupart dans la nécessité de faire de la résistance. On les taxa plus d’une fois d’ambition, de tendances