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LITTÉRATURE AMÉRICAINE.

à conserver quelque chose de la forme féodale, qu’il a eu l’insigne honneur de donner tant de présidens à l’Union. L’esclavage, disent-ils, établit en Virginie une large ligne de démarcation entre les classes et maintient chez les gens libres quelque chose de cette élévation héréditaire de cœur et de pensée que des institutions aristocratiques manquent rarement de produire. Or, c’est cette même élévation qui rend les hommes aptes à la tâche du gouvernement, ainsi qu’à toute autre tâche qui demande de la fixité dans les vues et des talens supérieurs. Nous croyons que les tories exagèrent grandement en ceci comme en beaucoup d’autres choses. Ce serait supposer la démocratie incapable de toute entreprise ardue que d’adopter l’opinion de leurs écrivains. Et pourtant il y a évidemment une espèce de grandeur résultant de la combinaison des forces morales, de leur action collective, grandeur quelquefois âpre et sauvage, qu’on ne saurait méconnaître dans les démocraties dans certaines circonstances et surtout lorsqu’il s’agit de défendre la patrie commune contre une invasion. Il serait facile de donner l’explication de ce phénomène, mais ce serait nous écarter trop de notre sujet. Pour le moment, nous devons nous borner à dire que la démocratie n’est pas l’unique cause de cette médiocrité littéraire à laquelle l’Amérique est réduite. Cette médiocrité doit être attribuée à des causes plus profondes, plus anciennes, dont nous dirons ici un mot en passant.

Dès son origine même, la société a pris en Amérique un caractère tout particulier d’austère sévérité qui devait retarder forcément le progrès des lettres et des arts. Les premiers émigrans anglais étaient, on le sait, de rigides puritains que la persécution religieuse avait forcés de quitter le sol natal. Eux et leurs descendans devaient avoir surtout une grande prédilection pour les recherches théologiques, pour les questions de foi et de dogme. Aussi, parmi les livres qui parurent d’abord en Amérique, ne voit-on presque que des ouvrages de controverse, des catéchismes et des sermons. À cette époque, du reste, la théologie faisait fureur dans l’ancien monde comme dans le nouveau ; nos batailles politiques modernes sont même peu de chose auprès des batailles dogmatiques qui se livraient alors. Les puritains qui avaient mieux aimé quitter leur patrie, mourir même, que de conformer leur conduite à des doctrines religieuses que leurs descendans reconnaissent aujourd’hui pour parfaitement innocentes ; les puritains, qui se posaient en martyrs de l’intolérance épiscopale, à peine établis dans leur nouveau séjour, se mirent, eux aussi, à persécuter à leur tour. Les rares ouvrages qui ont paru vers cette époque