Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/964

Cette page a été validée par deux contributeurs.
960
REVUE DES DEUX MONDES.

pulaire y était encore à l’état de transition, a produit de grands écrivains, de hardis penseurs ; mais, le changement une fois accompli, l’ordre nouveau une fois dégagé des vieux élémens sociaux, on dirait que les intelligences s’y sont soudainement affaissées. Ce n’est plus aux esprits cultivés, à l’aristocratie des intelligences, que s’adresse l’écrivain américain. Ce n’est plus sur leurs lumières, sur leurs goûts, qu’il règle ses pensées. Son public est devenu plus nombreux, mais moins éclairé. Son point de mire, ce sont les masses, souveraines en littérature comme en politique. Il est facile de voir que ses idées doivent forcément s’adapter aux instincts, aux préjugés, aux habitudes de ce nouveau tribunal académique. Il reflétera donc les haines de ce nouveau public pour toute distinction de classe et de rang, pour le talent même, pour tout ce qui s’élève au-dessus du niveau commun ; haines qui, aujourd’hui aussi bien qu’il y a deux mille ans, forment un des traits caractéristiques de l’esprit démocratique. Les démocraties anciennes se défiaient du mérite alors même qu’elles lui accordaient leurs suffrages. Les démocraties modernes se montrent animées des mêmes sentimens. Si elles se rappellent que des honneurs sont dûs à leurs grands hommes c’est seulement lorsque leurs cendres reposent au tombeau. Vivans, on ne les bannit pas, il est vrai, comme Aristide et Coriolan, mais on calomnie leurs intentions, on s’acharne contre leur caractère. Toujours il se trouve une foule crédule pour accueillir les plus odieuses injures de l’envie et ajouter foi à ses ignobles allégations. Hélas ! il faut le dire, car notre pauvre humanité ne se dépouille en aucun temps et en aucun lieu des faiblesses qui lui sont inhérentes, la courtisanerie se voit partout, sous toutes les formes de gouvernement et au service de toutes les causes. Et si l’on y regarde de près, trop souvent on reconnaîtra son empreinte là même où l’on ne croyait d’abord voir qu’un patriotisme désintéressé. La même faiblesse qui, dans les pays monarchiques, porte tant d’écrivains à faire de leur talent un encensoir pour les préjugés des grands, les entraîne également, là où les masses sont souveraines, à flatter et caresser les instincts de l’étroite envie ou de l’ignorance grossière. Encore si le talent gagnait à cette substitution dans l’objet de ses hommages. Mais non, une médiocrité féconde, inépuisable en quelque sorte, est tout ce qui semble devoir remplacer ces œuvres de génies rares, il est vrai, mais qui, chez les nations monarchiques, viennent parfois frapper et illuminer leur siècle.

Ce jugement paraîtra peut-être sévère : qu’on parcoure la liste