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qui étaient encore un mystère pour lui. Il comprit l’effroi qu’il avait dû causer à Mlle de La Charnaye à son arrivée. La jeune fille reprit sa vigueur, et se levant aussitôt : — Messieurs, s’écria-t-elle, je sais vos malheurs ; ayez pitié de nous, n’en dites rien à mon père. Je vois maintenant tout l’embarras où je me suis jetée. — Mais parlez, dit M. de Châteaumur : vous avez caché au marquis la mort de son fils ? — La savais-je moi-même ? dit Mlle de La Charnaye avec des sanglots. Puis elle ajouta dans un mouvement d’irritation douloureuse, et s’adressant à M. de Vendœuvre : J’ai fait plus encore ; vous connaissez la violence de mon père, je lui ai caché nos malheurs. Les mauvaises nouvelles le désolaient, les coups des républicains le frappaient au cœur. J’étais seule ici à le garder sans pouvoir le soulager, ou du moins verser mon sang comme nos braves gens pour retarder les désastres qui lui faisaient tant de mal. Que faire ? les lettres de mon frère étaient effrayantes, et puis mon frère n’a plus écrit. Il était mort. Comment lui apprendre tout cela ? Il n’y eût pas résisté ; il dépendait de moi de le tromper. J’ai altéré, j’ai supposé des lettres, cela est bien coupable, mais mon père dormait tranquille, je souffrais seule. Depuis l’affaire de Châtillon, il ignore tout ce qui s’est passé ; il croit l’armée triomphante, la reine et le roi délivrés. Messieurs, je vous en supplie, ne le détrompez pas, au nom du ciel ! — Elle tendait les bras à M. de Châteaumur, et s’adressait à chacun des gentilshommes. — Je l’ai cru fou, dit M. de Vendœuvre ; il parle de Nantes comme si nous en étions les maîtres ; il croit que la Loire est à nous et que l’armée marche sur Paris. — Mademoiselle de La Charnaye, vous êtes un ange, dit M. du Retail en lui baisant la main. M. du Retail commandait les quinze ou vingt cavaliers qu’avait fournis la paroisse de Vauvert.

Ces messieurs lui contèrent alors le véritable état des choses, qui rendait plus pitoyables les illusions du marquis. M. de Châteaumur lui dit : — Le pays est sans défense, l’ennemi peut y pénétrer ; il faut nous attendre à tout. — Messieurs, interrompit Mlle de La Charnaye, si notre situation vous inspire quelque pitié, reculons autant que possible ; mon père en mourrait, secondez-moi. — Cela sera bien difficile, dit M. de Vendœuvre. — Où cela mènera-t-il ? dit brusquement un vieux cavalier. — Il faudra bien tôt ou tard le détromper, reprit un autre. Mlle de La Charnaye s’était redressée à ces paroles, le curé vint à son secours. — Nous avions justement à consulter le marquis, dit M. de Vendœuvre. — Cependant on fut de l’avis du curé. Mlle de La Charnaye ne répondait à rien, mais elle insistait en pleurant. M. de