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commission se prononce pour l’affirmative, elle fait apposer sur le titre et sur la dernière page de chaque volume (et même de chaque cahier, et de la moindre brochure) le sceau des censeurs. Si l’ouvrage est jugé illisible, on le confisque, et l’on rend en place quelques bons livres (bons livres de Modène !), tels qu’une traduction italienne du traité de l’Indifférence en matière de Religion, par M. de Lamennais, des catéchismes et autres ouvrages semblables. Nous possédons des livres échappés de Modène, et nous pouvons assurer qu’il est impossible de rien voir de plus affreusement sale et laid que ces volumes avec de grandes taches jaunes et graisseuses qu’on a décorées dans ce pays-là du nom de sceau de la commission de censure. S’il y a encore à Modène des amateurs d’Aldes et d’Elzevirs, nous les plaignons sincèrement d’être forcés de soumettre les précieux bouquins qu’ils paient si cher au timbre salissant de leur bien-aimé souverain.

Ces usages, ces rigueurs ridicules paraissent appartenir à d’autres siècles, et seront jugés sévèrement par la postérité. Les gouvernemens qui parlent de protéger les sciences ne sauraient proscrire les livres ; mais, à ne considérer que le côté économique de la question, il ne faudrait jamais perdre de vue qu’on ne tond pas les brebis qui n’ont pas de laine, et qu’on enlève à l’état une source féconde de produits en ne favorisant pas la libre circulation et l’exportation des ouvrages de toute nature qui s’impriment journellement, et en grand nombre, en Italie. On doit reconnaître cependant qu’il a été fait récemment un grand pas en faveur de la librairie. Plusieurs princes Italiens se sont entendus pour assurer aux auteurs la propriété littéraire qui n’existait pas auparavant, et qui même, dans le cas où l’on aurait obtenu un privilége spécial, était annulée par les contrefaçons qui se faisaient partout dans les états limitrophes. Nous ne pouvons pas nous arrêter ici sur cette mesure qui, tout en favorisant les écrivains, aura pour premier résultat de développer en Italie ce qu’on serait presque tenté d’appeler la littérature industrielle, et qui pourrait bien conduire les éditeurs, ce qui serait un surcroît d’entraves pour les écrivains, à n’imprimer que des ouvrages rédigés avec assez de réserve pour mériter d’être approuvés successivement par toutes les censures des divers états qui se sont entendus à ce sujet. Nous nous bornerons à faire remarquer qu’une telle convention resterait sans aucun effet, si l’on n’adoptait pas des mesures efficaces pour faciliter la circulation des livres publiés dans tous les états qui se sont accordés sur ce point. En attendant, il est urgent