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ressources originales, inconnues, dans une exécution prestigieuse. L’idée populaire, le diamant brut, rencontre en Goethe son grand artiste, son lapidaire florentin, son Benvenuto, qui le polit, l’enchâsse, et le fait miroiter au soleil. Hoffmann et Novalis ont dit vrai : la poésie est une couleuvre merveilleuse, une belle dame serpentine, pleine de caprices imprévus et d’inexplicables fantaisies. Aujourd’hui vous l’entendez secouer ses clochettes d’argent et carillonner dans l’herbe les plus jolis airs, et demain elle va se taire et s’endormir d’un sommeil léthargique, jusqu’à ce que le magicien la réveille. Cette fois encore, Goethe fut le magicien.

De tous côtés les tentatives se multiplièrent, les assistances venaient s’offrir d’elles-mêmes ; les chants populaires de Herder, le Knabe-Wunderhorn, aidèrent puissamment à cette renaissance du lyrisme, à laquelle contribua aussi pour sa part le compositeur de Goethe, Reichart, qui, animé du même zèle, portait vers les traditions musicales ces investigations profondes que les autres dirigeaient vers les idées, et, comme un mineur qui chercherait les eaux vives et les cascades sonores dans la grotte où ses frères travaillent à dépister l’or et les pierres précieuses, s’en allait creusant les sources nationales à la poursuite des accords et des mélodies.

Les mouvemens littéraires se ressemblent tous, quant aux manœuvres qu’on met en jeu pour assurer leur action immédiate. Ce qui s’est passé en France vers les dernières années de la restauration arriva alors en Allemagne. L’importation étrangère eut son temps ; les esprits directeurs, sur qui pesait la responsabilité de l’entreprise, s’aidèrent autant qu’il fut en eux de tout ce que le génie exotique pouvait leur fournir de propre à la circonstance. On fouilla le vieux Nord, on demanda au jeune Orient ses merveilles, et, l’ardeur des néophytes forçant l’autorité des maîtres, l’imitation renchérissant de beaucoup sur l’exemple, il en résulta, comme chez nous, de monstrueux essais qui durent aussitôt disparaître. Cependant on peut dire que la forme allemande n’abdiqua point un seul instant sa souveraineté, et que, de tant d’élémens divers évoqués pendant la crise, il ne resta que peu de chose sur le sol national. Le sonnet lui-même, le mode le plus usité des partisans de l’infusion étrangère, ne put s’établir qu’à grand’peine, et le succès dont il jouit à cette occasion ne saurait se comparer à l’espèce de popularité où Flemming et Gryphius l’avaient mis au XVIIe siècle. Les évènemens qui agitaient l’Europe, plus encore peut-être que l’impulsion naturelle, entraînèrent Goethe vers l’Orient. Le vieillard, dont une fièvre incessante, une fièvre de jeunesse, tenait l’esprit en ébullition ; le vieillard, altéré de