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ment épique et le style déclamatoire de telle sorte, que trois genres de poésie ont l’air d’en venir aux mains et de se disputer le même poème, un semblable lyrisme porte en lui quelque chose d’incohérent et de bâtard qui le condamne d’avance et le fait échouer en dépit du poétique appareil qu’il évoque. Schiller obéit à je ne sais quelle effervescence instinctive qui ne manque pas de l’entraîner souvent jusqu’aux régions de l’emphase. Dans le délire du moment, toute objectivité disparaît à ses yeux : de là un dithyrambe continuel, une déclamation chaleureuse, éblouissante, mais vide et monotone, substituée à la forme, à l’art ; de là des apparitions flottantes, des ames et des sentimens au lieu de personnages et d’action, ames qui souvent n’en sont qu’une, et vous savez laquelle, variant ses habits et son air. Les bornes du lyrisme, si loin qu’on puisse les étendre, ne lui suffisent pas, il les dépasse, introduit dans son œuvre l’épopée, l’ode, le drame, le dithyrambe, les élémens les plus divers, non à doses égales pour qu’ils se tempèrent l’un par l’autre, mais entiers pour qu’ils se combattent, non comme des contraires qu’une chimie ingénieuse associe avec art, mais comme autant de forces actives qui s’agitent pêle-mêle et poursuivent leur développement intégral. Le luxe même de ses facultés lyriques s’oppose en Schiller à leur juste emploi ; il manque sa vocation par trop de vocation, par incontinence de lyrisme.

Nous professons un respect inaltérable pour la majesté tout antique, tout ionienne, dont Klopstock revêt son inspiration échevelée ; mais qu’il nous soit permis, en saluant le maître, de passer l’école sous silence. L’école de Klopstock ! Dieu sait quels bardes sublimes elle a produits ! Klopstock est en Allemagne le classique par excellence, l’homme de la renaissance littéraire, s’efforçant d’appliquer à la poésie du romantisme les catégories d’Aristote, et réduisant le lyrisme moderne aux trois uniques formes que l’antiquité consacre : l’ode, l’hymne, le dithyrambe. La réaction systématique de l’auteur de la Messiade, bien que parfaitement contraire à toutes les idées, à toutes les sympathies de l’Allemagne en fait de poésie lyrique, pouvait néanmoins offrir son utilité, en tant que rappelant à une certaine concentration la forme du Nord toujours prête à s’évaporer ; mais il fallait ne point s’en tenir là, et surtout se bien garder de prétendre ériger en réforme une simple question de maîtrise. — Klopstock eut donc son école et ses imitateurs ardens, le lied se fit classique. De cette époque date en Allemagne le règne d’Anacréon. Le lyrisme déserte les sources nationales dont nous avons parlé, ces