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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

ferme en elle plus ou moins de lyrisme inhérent à sa substance et perdu dans le torrent ou, pour mieux dire, dans l’harmonie de sa circulation. Le lyrisme représente assez en poésie ce qu’est en musique la note mélodieuse, le motif : il en faut avoir un grain. Que de figures la comédie et le roman n’empruntent-ils pas au lyrisme tous les jours ? Ariel dans la Tempête, Mercutio dans Roméo et Juliette, Mignon dans Wilhelm Meister, ne voilà-t-il pas de ravissantes mélodies bien dignes d’un Mozart ou d’un Weber ? La ballade, et la romance irlandaise, écossaise, allemande, telle que l’imagination des peuples du Nord l’a créée et que les poètes nationaux l’ont écrite, est lied, non seulement en vertu de sa forme lyrique, mais à cause du sentiment qui, par une force de sympathie émouvante et profonde, attire l’épopée, du sein des siècles révolus, dans le centre même, dans la sphère immédiate de notre activité. Jean-Paul a bien raison lorsqu’il dit que « l’épopée représente l’évènement se dégageant du passé ; le drame, l’action s’épanouissant pour et vers l’avenir ; la lyre, le sentiment enfermé dans le présent. » De la sorte, le lied transforme par le sentiment tout sujet qu’il embrasse ; peu importe que ce sujet soit épique ou dramatique, qu’il appartienne au passé ou à l’avenir : car, si le lied peut enfermer le passé dans le présent, par l’effet d’une sympathie ultérieure que j’appellerais volontiers ressentiment, il peut tout aussi bien y faire entrer l’avenir par le pressentiment, l’attente. Puisque nous avons parlé de ballades et de romances, il convient que nous citions ici quelques pièces où le lyrisme se marie à la narration, et qu’il faut ranger dans un ordre à part, dans la catégorie des lieds dramatiques, des lieds épiques : le Lied du Comte captif et le Roi des aulnes de Goethe, par exemple, et dans Uhland, la Fille de l’orfèvre, le Jeune roi et la bergère, les Trois jeunes filles, et surtout les deux pièces que nous allons essayer de traduire.

« Il me faut aller au combat, ma fille, et je pressens une étoile funeste ; ainsi fabrique-moi, ô vierge ! de ta blanche main, quelque vêtement qui me préserve.

« — Eh quoi, mon père ! une armure de bataille de la faible main d’une jeune fille ? Je n’ai jamais battu le rude acier, je rêve et file dans l’atelier des femmes.

« — Oui, file, mon enfant, durant la nuit sacrée, voue ton lin aux puissances de l’enfer, et tisse-m’en une tunique longue et flottante qui me préserve dans la sanglante mêlée.

« Durant la nuit sacrée, au clair de la pleine lune, file la jeune fille dans