Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/868

Cette page a été validée par deux contributeurs.
864
REVUE DES DEUX MONDES.

monde extérieur, et trouve tous ses élémens dans la seule poitrine d’où il s’échappe, le lyrisme ne manquera pas d’user du privilége librement et sans restriction. Nulle poésie, plus que la poésie lyrique, ne répugne au despotisme de la forme, à ce moule arbitraire, ode ou sonnet, qu’un certain goût national lui impose sans trop savoir pourquoi. Le sentiment, une fois captif en de pareils liens, se tord en réflexions monotones ou se gonfle tout à coup et s’enfle jusqu’à l’emphase déclamatoire. Peut-être le sonnet et la canzone, ces formes éternellement reproduites, ces moules glorieux, mais inhabiles à répondre à toutes les exigences de la poésie, ont-ils nui plus qu’on ne pense au lyrisme italien, en empêchant toute expérience nouvelle, tout développement ultérieur, et, s’il nous est permis de parler ainsi, les modulations qu’on était en droit d’attendre d’une langue essentiellement musicale. En ce sens les grands réformateurs littéraires, Dante et Pétrarque, auraient eu sur la poésie lyrique de leur pays une influence dont on pourrait, ce nous semble, contester les bienfaits. Cette forme étroite et serrée qu’ils tournaient si admirablement, cette forme laborieuse, quoi qu’on dise, qui rappelle assez le contre-point dans la poésie, trop savante et trop ingénieuse peut-être pour les choses du sentiment, une fois consacrée par leur génie, est devenu le mode unique, invariable, éternel, un mode d’où l’Italie n’a jamais pu sortir. Lorsque Chiabrera tenta d’introduire l’ode et le lied sur la terre du sonnet et de la canzone, il était déjà trop tard : la langue avait pris son pli. Étudiez, au contraire, le lyrisme allemand chez un grand artiste, chez Goethe par exemple, et vous serez frappé de voir l’unité subjective toucher, dans sa libre explosion, à toutes les formes, à tous les modes, à tous les rhythmes de la poésie. En Allemagne, ainsi que nous l’avons reconnu, la poésie lyrique atteint, dès sa première période, à son plus haut degré d’efflorescence. Principe élémentaire de toute poésie, le sentiment précède la description, la nouvelle, le drame ; vous le retrouvez au fond des plus simples émanations mélodieuses dont il est comme l’esprit vivifiant : caractère propre, du reste, à la poésie romantique, qui recherche par nature les mélanges et la fusion, tout au rebours de la poésie antique, fermement attachée au dogme des classifications, et, sur le chapitre des genres, inexorable. Comment nier l’intervention du lyrisme dans le théâtre de Calderon et de Shakespeare ? Que serait le Songe d’une nuit d’été, que serait la Tempête sans cet arc-en-ciel merveilleux que la fantaisie la plus douce et la plus vaporeuse y déploie ? Toute œuvre poétique moderne ren-