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côté de la jeune fille qui tousse, ou présente les dés au jeune homme impatient. Habile à se déguiser, à prendre en un instant l’air et le costume du rôle qu’il lui plaît de jouer, vous la retrouvez sans cesse et partout sur les traces de la vie ; elle en est comme l’ombre. En Grèce, sous le beau ciel d’Athènes et de Corinthe, la vie n’a point d’ombre. — Je le répète, c’était là pour l’humanité un personnage nouveau. Le squelette devait réussir au moyen-âge, même en dehors du principe catholique, en dehors de l’idée sublime qu’il proclame ; il devait réussir (qui le croirait ?) par la forme. Le moyen-âge a des goûts bizarres, on le sait ; le fantastique l’attire, il s’éprend même assez volontiers de la laideur. À ce compte, le squelette camard ne pouvait manquer de faire fortune chez lui. Dans cet élan unanime, furieux, immodéré, qui précipite aux XIVe et XVe siècles tous les arts vers la Mort, on recherche à coup sûr moins le symbole religieux qu’on ne se passionne pour ce personnage nouveau, pour cette bizarre poupée qu’on affuble à loisir de tous les oripeaux entassés pêle-mêle dans le grand vestiaire de l’univers, et qu’on lance à toute occasion (véritable deus ex machinâ, moyen de contraste et de péripétie s’il en fut) dans la pièce de marionnettes de l’existence humaine. La Mort s’empare du monde ; on la choie, on l’installe, tous les esprits s’enivrent d’elle ; c’est un délire, un fanatisme, une mode. La Mort a véritablement au moyen-âge sa période d’incarnation. Elle s’y fait homme, non à l’instar du fils de Dieu pour expier et gémir, mais pour régner en souveraine, pour occuper le trône universel, pour recevoir des mains de l’humanité idolâtre le sceptre d’or et la tiare d’empereur. On dirait un concert unanime, un hosannah sans fin que tous les arts entonnent à sa gloire. L’orgue lui chante ses hymnes les plus beaux, le peuple invente des poèmes à son intention, et la peinture n’a pas une fantaisie qui ne soit pour cette royale patronne. La Mort donne le verbe de l’art au moyen-âge ; il faut dire qu’elle est alors dans toute sa jeunesse, dans toute sa vitalité plastique. Les temps nouveaux ne l’ont jamais vue telle, et, si l’action n’a rien perdu de son infatigable puissance, la figure poétique, le personnage s’est de nos jours bien effacé. La Mort est retournée désormais dans le domaine de l’entité philosophique ; de forme, elle est redevenue idée comme aux jours antiques, idée moins féconde en images désormais qu’en syllogismes, car il était dit que, pour la poésie éternellement déshéritée, la Mort elle-même devait mourir.

Le lied de la jeune Fille et de la Mort, bien que d’une forme souvent rude et grossière, peut à bon droit passer pour une composition