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pas une larme qu’il ne reflète dans le cristal de son miroir. Sans prétendre porter dans ce monde mélodieux la classification scientifique, nous essaierons cependant ici d’en séparer les différens groupes, d’autant plus appréciables qu’ils se distinguent chacun par un type particulier, une couleur, une existence individuelle. Nous rattacherons à ces trois groupes les trois espèces-mères du lied allemand, les lieds d’amour, les lieds de la vie commune, les lieds patriotiques, tous populaires, ainsi que nous l’avons dit, tous identiques au sentiment dont ils émanent.

L’amour comprend deux espèces : l’amour divin et l’amour terrestre ; l’un absolu, l’autre relatif ; l’un ayant pour objet l’intelligence suprême, l’autre se renfermant dans le culte exclusif de l’individu ; le second, par conséquent, plus susceptible que le premier de s’acclimater dans le peuple et d’y porter ses fruits. La religion n’a d’élémens populaires dans un pays qu’autant qu’elle se soumet à certaines conditions de mœurs, de nationalité, de pompe extérieure, et consent, elle fille de Dieu, elle grande comme l’espace et le temps, elle infinie, à se modeler sur des types humains et périssables. Cette tendance de ramener à la terre toute chose divine vous frappe d’autant plus au moyen-âge qu’elle est naïve et procède du seul instinct de l’humanité. C’est merveille comme le peuple au XVe siècle arrange la tradition selon ses besoins, presque selon ses fantaisies. Vous le voyez prendre çà et là dans la Bible, dans l’Évangile, une phrase qu’il développe comme il lui plaît, un motif qu’il varie à son usage, et cela avec tant de franchise et de bonhomie, qu’on ne remarque pas que le dogme se dénature à ces interprétations arbitraires, et que la familiarité quelque peu grande vous semble toute naturelle. Il n’y a guère que les hymnes de la liturgie qui échappent à ce caractère, en s’efforçant de produire sous une forme absolue l’absolue vérité. On trouverait difficilement un acte de la sainte légende d’où ne soit point sorti quelque lied, toujours dans la mesure que nous observions tout à l’heure. L’imagination populaire se contente, en pareil cas, d’emprunter le germe au texte sacré, le germe qu’elle se réserve ensuite de féconder. Elle compose, elle arrange, elle invente, elle mêle son merveilleux à la vérité traditionnelle et, par une préoccupation égoïste dont elle-même n’a point conscience, se crée en quelque sorte des rapports intimes avec la Divinité qu’elle attire ainsi dans son cercle.

Cette manière propre au moyen-âge d’accommoder l’universel au particulier, de réduire la synthèse à des proportions presque usuelles,