protesté en faveur d’un genre que des modifications intelligentes ne tarderont pas à naturaliser chez nous, en faveur d’un genre qui pourrait bien n’être pas si étranger dans le pays de Clotilde de Surville et de Marot, et d’avoir mêlé une goutte de rosée allemande au sang nouveau que la Muse d’aujourd’hui se laisse si volontiers infuser dans les veines.
Le lied vient du peuple ; c’est encore là un de ces soulagemens de la pensée, une de ces aspirations divines vers la nature et l’amour, qui tempèrent les nécessités quotidiennes et trompent les amertumes d’une existence vouée aux plus rudes labeurs. Cependant il convient de nous expliquer : le lied appartient au peuple, en ce sens qu’il s’exhale de lui, qu’il en sort à l’état d’idée pure, et qu’il y retourne à l’état de chant. Le peuple ne formule point, et c’est assez pour sa poésie qu’un individu se rencontre, qui plonge au fond du sentiment général et lui donne par la toute-puissance de l’art une telle consécration, une telle durée, que son œuvre passe désormais pour l’œuvre du peuple même. Quel est ensuite cet individu ? Peu importe ; on négligera peut-être de s’enquérir de son nom. Il en est de la plupart des lieds du moyen-âge comme de ces épopées, comme de ces cathédrales dont on ignore les auteurs.
Pour citer le plus ancien, le premier lied populaire en Allemagne, il faudrait, sans contredit, remonter jusqu’à l’épopée nationale, jusqu’au poème des Niebelungen. À mesure que les siècles marchent, que la liberté gagne du terrain, que l’individu se détache du groupe de l’humanité, le grand thème synthétique se fractionne, la lumière se disperse en rayons variés ; le peuple a toujours en lui les mêmes trésors de véritable amour, de sensibilité légitime. Mais comment les répandre ? quelle forme donner aux sentimens qui le possèdent ? Ni l’une ni l’autre des deux écoles qui se disputent la poésie allemande au moyen-âge ne lui conviennent. Le Minnegesang est trop subtil pour lui, trop éthéré, trop insaisissable, le Meistergesang, trop littéraire et pédantesque. Dans cette alternative, laissez faire son instinct, son bon sens, et vous allez le voir mêler à souhait, pour sa poésie à lui, les élémens les plus contraires, enfermer le Minnegesang vaporeux dans les règles de la maîtrise comme l’oiseau dans une cage, et d’autre part égayer la monotonie de la maîtrise d’un reflet azuré du Minnegesang.