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pas, ce sont leurs idées qui changent. Ce n’est plus une église qu’il faut, dira-t-on à l’architecte, c’est un palais que nous vous demandons. Continuez pourtant votre bâtisse, car il ne faut pas que nos fondations soient perdues. — L’économie est une vertu fort prônée maintenant, plus encore qu’elle n’est mise en pratique. — Tout s’arrangera moyennant quelques cloisons, force plâtre et une tablette de marbre où l’on gravera l’étiquette nouvelle de l’édifice. Qui peut affirmer que ce sera la dernière ?

Ailleurs, il s’agit de construire un hôpital ou bien une prison. Tels sont, hélas ! les monumens de notre civilisation moderne. On nomme une commission de médecins et d’administrateurs (car tout se fait par commission aujourd’hui). La commission, duement instituée, rédige un programme, souvent peu clair ; car un programme, c’est l’idée de chaque membre de la commission modifiée par les idées de tous les autres membres. N’importe. Tant de malades, tant de prisonniers, tant de salles, tant de divisions dans le bâtiment. L’architecte tâche de contenter tout le monde ; on travaille. Mais voilà que la science progresse, comme l’on dit maintenant, et elle progresse plus vite que les maçons ou les tailleurs de pierre. Bientôt on commence à critiquer les dispositions de l’architecte, le programme même qu’on lui a donné. Seconde commission nommée pour le revoir, qui blâme tout ce qu’a ordonné la précédente ; second programme qui bouleverse tout. Hâte-toi, pauvre artiste, ou bien une nouvelle théorie scientifique, un nouveau perfectionnement administratif, viendraient encore tout changer.

Voilà la faute de notre temps, et il est évident que les arts doivent en subir les funestes conséquences. Exiger qu’on invente une architecture appropriée à notre époque, c’est exiger que notre époque adopte telles habitudes, telles mœurs, tel gouvernement. En bonne foi, est-ce aux architectes qu’il appartient de régler la société, et vivant dans un siècle de transition, faut-il leur faire un crime de partager l’indécision générale ?

Le manque de croyances, ce malheur que nous déplorons tous sans y trouver un remède, a produit peut-être un seul bon résultat parmi des milliers de conséquences fâcheuses. N’ayant ni un but déterminé, ni un point de vue fixe et immuable, nos artistes, et les architectes surtout, ont mieux étudié les systèmes de leurs devanciers qui avaient un système, parce qu’ils avaient des croyances. Sans passion, sans préjugés, sceptiques indulgens comme toute notre génération, nos architectes en sont venus à tout admettre, à tout approuver, à tout expliquer. Aujourd’hui personne n’a plus d’admirations passionnées, par conséquent on n’exclut rien. J’en citerai une preuve entre cent. Maintenant l’art byzantin, l’art gothique, ne sont plus l’objet du mépris ; on les étudie, on les prône, on est tout près de les imiter, et c’est là le mal ; car il faut demander aux anciens des inspirations, mais on ne doit pas les copier servilement. Grace à la libéralité des chambres, grace à ce scepticisme que je signalais tout à l’heure, nous voyons aujourd’hui ce qui ne s’est jamais vu, je pense, et ce dont nous devons certes nous applaudir, des monumens réparés, continués, agrandis, rebâtis même dans le système où ils avaient été conçus il y a six cents ans. Nos artistes sont devenus antiquaires, ou plutôt ils étudient pour le devenir. Sans doute il arrive, et souvent, que l’on confond les styles, qu’en réparant un vieux monument on le dénature ; mais la science est toute nouvelle, il y a beaucoup d’écoliers, peu de professeurs, et, parmi les professeurs… Mais, avec le temps, tout s’arrangera, nous l’espérons.