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Douze écuyers portant un bouclier garni d’argent, et six prêtres que distinguait le turban sacerdotal, s’avançaient à ses côtés. La maison du roi, les femmes, les eunuques, la musique, le bouffon, venaient ensuite. C’était la guerre antique, comme nous venons de voir le repas antique. Il n’y avait pas jusqu’aux livres sacrés qu’on ne crût devoir faire figurer dans ces circonstances. Un cheval, entouré d’un peloton de fantassins, ouvrait la marche, portant, dans un panier recouvert d’un drap rouge, les livres saints des trois églises d’Aukobar : Séné Mariam (Sainte-Marie), Séné Marquose (Saint-Marc), Séné Mikaël (Saint-Michel). Ainsi défilaient les phalanges d’Aaron sous la sauvegarde de l’Arche d’alliance.

Cette armée abyssinienne, montée sur d’excellens chevaux, offrit un beau coup d’œil quand les premiers rayons du matin vinrent dorer ses vingt mille lances. Elle se dirigea vers le nord-ouest, traversa une petite rivière, puis entra sur le territoire des Gallas qui s’empressèrent de se soumettre aux approches de cette formidable cavalerie. On poussa l’excursion jusqu’au Nil. Sur ce point, le fleuve coulait dans un lit de soixante-dix mètres de large sur trois mètres de profondeur. On visita le couvent de Devra-Libanos ; puis, revenant sur ses pas, le roi fit sa rentrée solennelle à Angolala. Ces tribus gallas, qu’on venait de visiter sont des idolâtres qui ont emprunté diverses pratiques à l’islamisme et à l’évangile. Ils observent scrupuleusement le dimanche, et invoquent Dieu ce jour-là pour obtenir d’abondantes moissons. Les formes extérieures de leur culte sont bizarres : ils placent sous leurs bras, hommes et femmes, quelques poignées d’herbes vertes, puis ils prennent un petit bâton que l’homme tient par un bout, la femme par l’autre, après quoi les couples ainsi liés, dansent en rond autour d’un arbre sacré en criant : Aouqué, c’est-à-dire, « Dieu, veille sur nos troupeaux, sur nos moissons, etc. » Les Gallas passent d’ailleurs pour la plus belle race de l’Afrique. D’une haute taille ; cuivrés plutôt que noirs, avec le front large, le nez aquilin, les traits réguliers, les lèvres bien proportionnées, ils sont aussi bons cavaliers que bons agriculteurs, et se rendraient bientôt maîtres de la contrée, s’ils pouvaient s’entendre ; mais, isolés et attaqués en détail, ils se voient obligés de subir la loi des rois abyssins. Les femmes gallas sont de fort belles créatures, renommées dans ces plateaux pour leurs formes à la fois élégantes et vigoureuses.

La rentrée du roi à Angolala, au retour de sa pacifique campagne, ne s’accomplit pas sans de grandes cérémonies religieuses. Aux portes de la ville, il ceignit son diadème en argent incrusté d’or, et dans