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le pays ne voulait pas, c’était un bouleversement soudain, une atteinte trop profonde à des intérêts dignes de ménagemens et de respect ; ce qu’il ne voulait pas, c’était un cabinet qui, pour conserver le pouvoir, ne craignait pas d’avoir recours à des moyen presque révolutionnaires.

Ces questions ne sont pas résolues. Le pays est convaincu que les tories, plus habiles dans l’art de gouverner, plus calmes parce qu’ils sont plus forts, et qu’ils n’ont pas besoin de couvrir la faiblesse par la témérité, sauront ménager et concilier les intérêts divers et obtenir, pour les grandes questions pendantes aujourd’hui, les heureux résultats qu’ils ont obtenus dans des circonstances analogues, et en particulier pour l’émancipation des catholiques. C’est là la conviction de l’Angleterre, et cette conviction générale, il faut le reconnaître, est à la fois la force et la gloire du parti conservateur. On dirait que le pays regarde les whigs comme des explorateurs ; à eux la mission de tenter quelque découverte, de sonder le terrain, de s’aventurer dans les régions peu connues. S’agit-il ensuite de les occuper définitivement, de s’y établir, d’organiser quelque chose de sérieux et de durable ? ce n’est plus aux whigs que le pays accorde alors sa confiance. L’action habile et mesurée, cette intime conciliation des intérêts opposés qui distingue les conceptions de l’homme d’état, c’est évidemment des conservateurs que l’Angleterre l’attend. C’est là un fait irrécusable ; nous ne jugeons pas, nous racontons.

Le règne des tories peut être long. Si effectivement ils parviennent à résoudre quelques-uns des grands problèmes qu’a fait naître la situation toute particulière où se trouve l’Angleterre, s’ils donnent quelque satisfaction aux intérêts en souffrance, leur position sera inexpugnable, malgré tout ce qu’ils rencontreront d’antipathies, d’opposition et de mauvais vouloir dans plus d’un lieu.

L’Irlande leur offrira des difficultés plus difficiles à vaincre que celles qui résultent de la situation économique de l’Angleterre. En Angleterre, si pour combler le déficit le ministère propose, ainsi qu’on le dit, une taxe sur le revenu, de manière à ne pas frapper les classes peu fortunées, la mesure sera populaire et honorable pour les conservateurs. C’est sans doute une grande entreprise que l’assiette et la perception d’un impôt de cette nature d’autant plus qu’on eut soin, dit-on, lors de l’abolition de l’income-taxe, de faire disparaître tous les documens, tous les matériaux, qui auraient pu en faciliter le rétablissement. Mais l’action du gouvernement est énergique en Angleterre. Elle se fait sentir moins souvent que chez nous ; mais, lorsqu’elle se développe, elle ne rencontre pas de résistance. La loi est chose sacrée pour l’Anglais ; l’obéissance à la loi n’est pas seulement un acte de prudence, c’est un devoir senti et qui est entré profondément dans les mœurs. En Angleterre, il n’y a pas aujourd’hui de passions politiques en mouvement. Il n’en est pas de même en Irlande. Les catholiques irlandais n’ont pas le calme, les lumières et les motifs de satisfaction des Anglais, et les orangistes, en Irlande, sont encore moins sages que les catholiques.