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des plus considérables à la chambre des députés avait son chef à la chambre des pairs. On conçoit alors le besoin d’une dernière bataille, et nous ne sommes pas assez calmes, assez froids, assez dédaigneux, pour refuser le combat qui nous est offert. Nous sommes bien aises de nous montrer, de nous faire entendre ; nous sommes toujours prêts à croiser le fer, pour peu que l’ennemi vaille la peine d’un combat.

Quoi qu’il en soit, la chute du ministère whig est désormais un fait accompli. Ce fait est grave, il est digne de la plus sérieuse attention. Les conservateurs ont obtenu une brillante majorité malgré les efforts combinés, les efforts les plus opiniâtres et les plus hardis de la couronne, des whigs et du parti radical. La haine de l’Irlande contre les tories, l’esprit libéral de l’Écosse, les intérêts des villes manufacturières et des classes ouvrières en Angleterre, l’influence de la cour et de l’aristocratie whig, tout a été inutile, tout a échoué devant les électeurs. Ce serait pitié que d’attribuer ce résultat à des manœuvres frauduleuses, des menées clandestines, à l’intrigue, à la corruption. Sans doute les élections anglaises ne sont pas pures de toute souillure ; il y a plus : la conscience publique n’a pas de grandes sévérités en Angleterre pour les péchés électoraux. On dirait qu’aux jours de l’élection certains principes sont suspendus et certains vices affranchis de toute contrainte. Ce sont de vraies saturnales. Ces moyens toutefois n’ont pas, à beaucoup près, toute la puissance qu’on serait tenté de leur attribuer. Ils peuvent venir en aide à quelques personnes, ils ne décident point de l’esprit général des élections. Les électeurs veulent être payés, mais le plus souvent par celui qu’ils choisiraient si l’élection était gratuite. D’ailleurs, les tories et les whigs sont également prodigues de leurs promesses, de leurs menaces, de leur protection, de leur argent. Il y a donc compensation, et on peut sans injustice les renvoyer dos à dos. Les radicaux auraient seuls le droit de se plaindre ; ils ne corrompent personne, par vertu sans doute et aussi faute d’argent.

Il faut le reconnaître : l’Angleterre s’est rangée sous le drapeau des conservateurs. Pourquoi ? Le peuple anglais est-il stupide, abruti, insensible aux grandes vérités que proclament les adversaires des conservateurs, à ces principes d’organisation sociale dont nous sommes en possession ? Nullement. Mais il y a tant de liberté en Angleterre, que les inégalités choquent peu des hommes qui reconnaissent la possibilité et se sentent le courage d’aspirer à tout. Les conservateurs triomphent aujourd’hui dans la personne de deux hommes venus du peuple, Peel et Lyndhurst. Les inégalités sociales, en Angleterre, sont un but pour tous ; elles ne sont une injure pour personne. S’il y a des seigneurs, il n’y a pas de talons rouges ; s’il y a des nobles, il n’y a pas de vilains. Il n’y a que des hommes libres, les uns à la vérité haut placés dans l’échelle sociale et entourés de magnifiques priviléges, les autres se contentant, dans les rangs inférieurs, des bienfaits du droit commun. Mais il est certain que le peuple anglais aime sa puissante aristocratie comme des villageois aiment l’église qu’ils ont élevée à grands frais et dont ils tirent vanité. C’est dire que les principes du monde moderne ne pénétreront dans les idées