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VOYAGE DANS L’ABYSSINIE MÉRIDIONALE.

vis des étrangers ; elle défraie encore les officiers de sa maison dans des festins qui rappellent ceux d’Homère. Notre voyageur assista à plusieurs de ces galas de cour dans lesquels la poudre de piment rouge jouait un rôle essentiel. Le repas était servi sur de grandes tables en osier, élevées de deux pieds au-dessus du sol. Sur ces tables figuraient sept ou huit vases énormes, remplis de viandes, diversement apprêtées ; puis, entre les plats, des piles gigantesques de galettes, faites les unes avec de la farine de blé, les autres avec celle de thèfle. Parmi ces vases, les uns contenaient de petits morceaux de bœuf découpés et saupoudrés de piment ; d’autres, des gigots de mouton qui, détachés par petites bandes retenues à l’os, ressemblaient à un martinet à plusieurs branches. Ailleurs des quartiers de veau nageaient dans une sauce pimentée ou dans de la graisse fondue. Quelquefois même on remplaçait ces viandes à demi cuites par de la viande crue ou brondo, que les Abyssins mangent avec délices en la trempant dans du piment. Pour boisson, on servait de l’hydromel et une autre liqueur fermentée assez semblable à la bière.

Dans ces repas, les convives s’accroupissent autour de la table, sur le sol tapissé d’herbe fraîche, les jambes croisées à la manière des Turcs. Le banquet dure près de quatre heures et comprend trois séries de convives qui s’en approchent à tour de rôle. La première série se compose des principaux officiers et gouverneurs de province, la seconde des officiers subalternes et gouverneurs de village, la troisième des soldats, ouvriers, laboureurs, hommes de peine. Ainsi Sahlé-Salassi donne à dîner à tout son peuple. Quant à lui, assis sur son trône, il préside au repas sans y prendre part. À ses côtés, des musiciens entretiennent un tapage infernal en jouant, les uns de la trompette, les autres de la flûte ; des chanteurs et chanteuses ajoutent au bruit en y mêlant leurs voix, tandis que le bouffon du prince égaie l’auditoire par ses saillies.

M. Rochet habitait Angolala depuis trois semaines, lorsque le roi lui offrit de l’accompagner dans une expédition fiscale vers le pays des Gallas de l’ouest. L’armée abyssinienne se trouve bientôt en campagne. Vingt mille cavaliers armés de lances et cinq cents soldats avec des fusils à pierre la composaient. Le roi, monté sur une magnifique mule, couverte d’un caparaçon d’or marchait à leur tête. Il portait de larges braies de soie verte, avec une ceinture de satin rouge à laquelle était suspendu un sabre recourbé dont le fourreau était garni en argent. Drapé dans une pièce d’étoffe que recouvrait une peau de lionne, il avait l’aspect le plus noble, le plus martial.