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de lui, Sahlé-Salassi lui adressa plusieurs questions, lui parla de la France et de son roi, de nos lois, de notre système de gouvernement, de notre état militaire, de nos arts mécaniques. Ce dernier point semblait surtout l’intéresser. Après une heure d’entretien, il congédia son hôte, et le fit ramener dans la maison qu’il lui avait destinée. Là un excellent souper et un bon lit formé de peaux d’hippopotame achevèrent de remettre le voyageur et de réparer les fatigues du désert.

Désormais M. Rochet était le commensal, l’ami de Sahlé-Salassi. Le lendemain, le roi le reçut sur son trône, qui se compose de peaux de bœuf superposées, et d’une espèce d’appendice qui sert à la fois de dôme et de dossier. Une étoffe de satin rouge à bandes jaunes recouvre le siége, une autre de soie bleue brochée d’or garnit le baldaquin. La conversation fut reprise au point où on l’avait laissée la veille. Le roi parla à son hôte de l’infortuné Dufey, qui avait quitté le Choa quelques mois auparavant, et qui se mourait alors sur les côtes d’Arabie. Il revint ensuite sur les procédés industriels de l’Europe, sur la manière dont on fabriquait les canons, les fusils, les sabres. Ses questions étaient toujours posées de la manière la plus judicieuse, et il paraissait entrer parfaitement dans l’esprit des explications qui lui étaient fournies. M. Rochet se donna même le souci de l’initier au jeu de notre mécanisme constitutionnel, en lui détaillant le rôle des deux chambres et l’équilibre des trois pouvoirs. C’étaient là de très graves problèmes pour un Abyssin : il paraît que le roi de Choa y prit quelque intérêt. Cependant il apprécia mieux encore divers présens que notre voyageur s’était empressé de lui offrir : un moulin à poudre, trois fusils doubles, six pistolets, deux sabres, des instrumens de chimie et de mathématiques. En retour de ces objets, le soir même le roi envoya à son hôte trois chevaux et une mule sellés et bridés. Sahlé-Salassi ne s’était pas montré moins généreux envers le jeune Dufey. Au moment des adieux, il l’avait conduit dans la casauba où il dépose ses trésors, et lui avait dit : « Que veux-tu pour ton voyage ? demande. » Dufey hésitait ; enfin il parla de cent talaris, qui lui furent comptés sur-le-champ. Le roi ne se contenta pas de cela ; il y ajouta un anneau d’or d’une valeur au moins double, et il reprit : « Tu vas traverser un pays de voleurs. Attache cet anneau à ta jambe et entoure-le de bandes imprégnées de miel ; on croira que tu as une plaie ; personne n’y touchera. » Voilà comme on allie en Abyssinie la générosité à la prudence, et un riche présent à un bon conseil.

La magnificence de Sahlé-Salassi ne s’exerce pas seulement vis-à-